Après quelques courts-métrages remarqués, Eric Valette a signé deux œuvres résolument tournées vers le fantastique et l’horreur. Déjà Maléfique, une tentative assez audacieuse de dynamiser le cinéma de genre français. Puis One missed call, le remake du film homonyme de Takashi Miike qu’il a tourné aux Etats-Unis. Il est revenu au cinéma hexagonal et s’est mis au thriller politique pour Une affaire d’état.
Le scénario s’inspire d’un roman de Dominique Manotti (*) dont l’intrigue a été très sensiblement remaniée : Un avion explose en vol au-dessus d’un état africain. Il contenait une importante cargaison d’armes destinées à un groupe de rebelles préparant une guerre civile sur place. Une monnaie d’échange contre des otages français, dont la libération pourrait faire remonter la côte de popularité du Président de la République et influer sur le résultat d’élections périlleuses pour le parti au pouvoir. Pour Victor Bornand, le conseiller officieux de l’Elysée pour les affaires africaines, il faut non seulement réparer les dégâts et monter une nouvelle opération au plus vite, mais aussi étouffer l’affaire dans les média, suite à des fuites venant de son proche entourage. Il charge son homme de main, Michel Fernandez, un ancien barbouze, de faire le ménage, en usant de tous les moyens pour réduire au silence ses adversaires. Résultat des courses, une escort-girl est retrouvée assassinée dans un parking et son ami manque à l’appel. L’inspectrice Nora Chayid, fraîchement promue inspectrice, est chargée de l’enquête. Grâce à son opiniâtreté, elle va peu à peu s’approcher de la vérité et des hautes sphères du pouvoir…
Une affaire d’état tombe à pic au moment où les média parlent beaucoup de l’Angolagate, ce trafic d’armes entre la France et l’Angola, qui a alimenté une guerre civile particulièrement meurtrière et a enrichi quelques personnalités politiques haut placées, et où Charles Pasqua, condamné pour cette affaire, menace de faire des révélations « capables de faire sauter la République »… L’oeuvre s’inspire bien évidemment de ce scandale peu glorieux pour l’état français, alors que le roman lorgnait vers d’autres affaires touchant plus au Moyen Orient et à la libération d’otages dans des circonstances controversées.
Pour autant, même s’il pointe du doigt les dérives du pouvoir et les magouilles honteuses dans lesquelles se compromettent parfois nos élites au nom de la raison d’état, le film n’est nullement un brûlot politique, ni même une charge féroce contre le trafic d’armes et l’instabilité des nations africaines, savamment entretenue par l’occident. Eric Valette se sert juste de ce contexte pour livrer un thriller nerveux et haletant, parfaitement rythmé, et se concentre sur ses personnages ambigus. Fernandez, le tueur à gages, est suffisamment violent et impitoyable pour provoquer le rejet du spectateur, mais aussi suffisamment faillible et touchant, avec ses rêves d’évasion loin de ce monde pourri, pour que l’on s’y attache. Victor Bornand ne se salit pas les mains, mais il est aussi un véritable tueur politique, prêt à tout pour protéger les secrets honteux de l’état. Enfin, Norah Chayid est une idéaliste, ayant une haute opinion de sa fonction et de la justice, et n’hésite pas à s’attaquer à des adversaires bien plus puissants qu’elle ne l’imagine.
Tous trois ont leurs propres codes moraux, leurs propres conceptions de l’honneur, du bien et du mal. Et tous trois, ainsi que bien d’autres personnages secondaires, sont entraînés dans une spirale de violence et de mort dont ils ne sortiront pas indemnes. De vraies figures de roman noir…
Pour leur donner chair, Eric Valette a eu la bonne idée de faire appel à d’excellents acteurs. Thierry Frémont est très convaincant en homme de main implacable, mais en bout de course, usé par la prise de drogues, mais aussi et surtout par l’obligation de constamment naviguer dans les eaux les plus troubles de la République. André Dussollier apporte sa stature et son charisme à Bornand, le politicien manipulateur. Il réussit à trouver la juste combinaison entre la froideur du bonhomme et une certaine droiture, un reste d’humanité. Enfin, Rachida Brakni est parfaite en jeune fliquette aguerrie sur le terrain, mais pas préparée à affronter des criminels en costard-cravate…
A leur côté, on trouve une distribution homogène, sans fausse note, de Christine Boisson à Elodie Navarre, de Jean-Marie Winling à Gérald Laroche, en passant par Denis Podalydès…
Le seul reproche que l’on pourrait adresser au film d’Eric Valette est de manquer quelque peu de noirceur. L’ensemble aurait en effet gagné à s’entourer de davantage de mystère, d’opacité. Il aurait été intéressant de montrer le côté dérisoire des individus face à un ensemble trop complexe pour eux, cette machinerie implacable, impitoyable, irrésistible qu’est l’état, abrité derrière « l’intérêt supérieur de la nation ».
Eric Valette aurait peut-être également dû poser un peu plus sa caméra et prendre le temps de développer certains personnages-clés, comme Mado, la directrice d’une agence de call-girls de luxe, aux rapports plus que troubles avec le pouvoir…
Mais le résultat est plus qu’honorable. Fort de son casting impeccable et de sa mise en scène efficace, Une affaire d’état est un polar fort bien mené, qui a le mérite de faire réfléchir sur certaines dérives du pouvoir. Pour un film de genre, ce n’est pas si mal…
Note :
(*) : « Nos fantastiques années fric » de Dominique Manotti – éd. Payot & Rivages