ARNAUD FLEURENT-DIDIER ::: La middle-class des gens moyens

Publié le 06 décembre 2009 par Gonzai

Face au grand théâtre de la vie quotidienne (la photocopieuse, la devanture des terrasses ou la VOD pour tromper l'ennui), nous sommes tous égaux. Lorsqu'Arnaud Fleurent-Didier vomit de la dentelle sur son prochain album (La reproduction »), esquisse le portrait du français fan de Godard et Cauet et suscite l'émotion de ceux qui n'ont plus la force, il reste un mot sous le verre de lait pour tous les auditeurs : Français, nous sommes tous moyens.

Moi-même, j'ai commencé à écrire sans avoir fini d'écouter le disque, j'ai bâclé mon travail et bientôt j'énumèrerai de grandes références culturelles pour masquer l'envie d'écrire. Je broderai plus tard deux couplets sur la nocivité du téléphone portable dans les transports en commun en ornant le tout d'un violon baroque pour faire comprendre à mon public que j'œuvre sur le second degré. Bien évidemment, je nierai toute filiation avec Polnareff, William Sheller et Michel Berger. Car je suis un homme de mon temps, j'ai vaguement écouté ces musiques mais mon propos va plus loin, je parle d'avoir des amis sur Myspace en m'inspirant de Francis Laï sur le canevas ; d'ailleurs j'ai trouvé un plugin qui copie bien les techniques vintage. Je viens de vous le dire : je suis un homme de mon temps.

Je suis français malgré tout. J'aime l'ironie et l'harmonie, teintée d'un zest de désinvolture, les croissants chauds et le son ouaté des seventies. Entre les Carpentier et Roland Barthes. Mais attention, je lis Bourdieu et SoFoot, parce qu'en France on ne choisit pas entre la socio et la baguette. J'aime Bowie et Joe Dassin, John Cale et Claude François, les stérilets et la pilule, j'embrasse le monde tout entier, sûr d'avoir la dernière page de Libé, consécration d'être lu par mes pairs à lunettes et je me délecte de diatribes sur mes semblables en les singeant. C'est tout de même plus aisé que de lever la plume ; je reprendrai bien un café en regardant les soldats tomber, sur CNN, Skynews, la BBC. Et LCI aussi, parce que je suis patriote.

Le problème de la nouvelle chanson française, même maquillée, reste encore son amour du second degré et des dérisions faciles. Fleurent-Didier, pas plus que ses congénères versaillais nés en 1974, n'échappe à la règle du pastiche. Les flambeaux perdus (Proust, Gainsbourg), le futur en CDD et l'incapacité d'une ambition ; après tout, si la banquise fond, autant s'astiquer sur une photo de Marlène, couleur sépia. Entre crise pétrolière et dépression molle, La reproduction brosse « un tableau saisissant où Sheller, écran plasma et amours déchus s'entrecroisent pour le plus grand plaisir du mélomane ». Ne riez donc pas, ce sera écrit ainsi dès janvier 2010, dans les journaux où vous restez abonnés. « Parce qu'aller chez le kiosquier, en hiver, bon, il fait froid quand même ».

Les nouveaux auteurs français sont une espèce consanguine, plus parisiens que leurs pairs, jamais à court d'une référence (Mémé 68) pour épater les normaux. Le dimanche, ça flâne sur les trottoirs de la place Clichy avec la nonchalance d'un avion-cargo balançant 10 tonnes de Télérama sur le français moyen qui proteste le mardi des jours de grève, ça geint dans le micro pour ne pas avoir à chanter avec le ventre, ça regarde des films d'Europe de l'Est sous-titré puis ça rentre chez soi à pied, à l'automne, parce que les feuilles tombent et qu'on préfère lever la tête pour les voir tomber. C'est le réalisme français appliqué à la chanson d'hexagone, bande-son des trentenaires atteint par le mal des bourgeois, j'ai pas vraiment mal mais je me sens pas très bien, suffisamment de références pour séduire, mais pas assez pour convaincre.

Sur La reproduction, le nouveau disque de Fleurent-Didier, tout brille en demi-teinte. L'image d'Epinal des gens normaux, flatteur à outrance, un auditeur ébahi qui entend les comptines d'un garçon cultivé (« diplomé d'une sous-centrale »), le cliché des parisiens nouveaux découvrant la rue de Lévis et les MILF qui sous-pèsent leurs poireaux comme d'autres une paire de couilles. Un peu de Dashiell Hedayat sur Imbécile, une production très Phoenix sur Reproductions, du  Delerm comme s'il en pleuvait tous les jours de l'année et du Tellier pour les jours de sécheresse. Sur Risotto aux courgettes, crépuscule du disque mais néanmoins zénith de l'absurde, l'indifférence cède la place à la colère. Le français middle-class, est-ce vraiment cela ? Sommes-nous devenus les enfants de Michel Colombier, Air et Benabar, tous unis dans un mutisme d'avant-garde, le regard fixé sur une ligne de basse enregistrée au studio de Bernard Estardy ? Oui, nous sommes tous devenus moyens, tournés vers la tentation d'une élite qui nous ressemblerait. En musique, cela s'appelle « une imposture », en journalisme subventionné, « un chef d'œuvre ».

Fin de l'album. En attendant la chimiothérapie, les ticket-restos et un aller-retour Paris/Dourdan, on réécoute Arnaud Fleurent-Didier, enfant du hasard et fils de la culture française à Papa. Dix ans après le bonheur décrépi de Michel Houellebecq et son Présence Humaine indépassable, de nouveaux escrocs inventent un nouveau mode d'expression : le clowning, enfant des mimes et du burlesque, pour ceux qui refusent de voir en fermant les yeux.

Et Fleurent-Didier dans tout ca ? Beau et violent, comme un dimanche à Chatenay-Malabry au volant d'un coupé Sport.

http://www.myspace.com/arnaudfleurentdidier