« Bonjour, je m’appelle Jonathan. J’ai passé mon enfance à la campagne, dans les Yvelines plus précisément. J’ai pratiqué de nombreux sports mais j’ai arrêté la plupart d’entre eux pour des raisons de transport. J’ai malgré tout poursuivi le tennis : en donnant des cours à des juniors dans le club de…. »
Pauvre Jonathan ! Malgré son sourire king size et sa cravate rouge sang, il peine encore à incarner le manager qui en veut. D’ailleurs, il n’aura pas le loisir d’achever sa trépidante biographie. Brutalement, l’animateur de la session de « training » l’interrompt, manifestement irrité : « Ah putain ! Vous ne rigolez pas vous, vous êtes un ambitieux nom de Dieu ! On n’arrête pas le sport pour « raison de transport », bordel ! C’est votre vie, quoi ! Dîtes que vous avez d’autres priorités, parlez de « PRIORITES » ! Vous n’avez pas ABANDONNÉ, vous avez fait des choix ! Décider, c’est renoncer. ». Visiblement, peu importe que la sportivité de Jonathan ait réellement fait les frais d’une desserte calamiteuse des Yvelines par les transports en commun.
Silence dans la salle. Puis le jeune loup encaisse la deuxième salve, sans sourciller : « Et le tennis, putain, que vous donniez des cours à des juniors : on s’en fout ! Vous êtes dans une optique de transmission du savoir, voilà ce que je veux entendre. Votre plaisir, aujourd’hui, ce n’est plus d’exceller dans la performance individuelle, mais de transmettre ! ». Vu sa bonhomie, Jonathan n’a probablement jamais été classé. Vous l’aurez compris, on peut toujours s’arranger avec la réalité.
S’adressant à l’ensemble de son auditoire (les camarades de Jonathan) l’animateur résume : « Cherchez chez vous les petites formules qui vont bien. C’est hyper important en communication d’avoir le sens de la formule. Quand vous communiquez, il vous faut un style. Il faut que ça tape : un peu de clinquant, un peu de panache ! ».
Plus prosaïque, il aborde pour conclure un point important : « Un détail qui cloche, un nœud de cravate un peu lâche, on ne regarde que ça ! Ça parasite tout votre échange… Alors vérifiez toujours votre tenue avant d’entrer en réunion. Compris ? ».
Combien de carrières brisées net par une braguette entrouverte ?
Ces conseils, voyez-vous, ils sont vendus à prix d’or. Nous sommes dans une école de commerce. La séquence était diffusée dans le nouveau magazine d’Arte : Cut up (des séquences très courtes, entrecoupées des digressions de Jackie Berroyer, le samedi vers 18h).
A vrai dire, j’ai du mal à me prononcer sur l’efficacité de la méthode.
En revanche, pour avoir feuilleté quelques journaux d’annonces, j’ai vite constaté que nombre de recruteurs usent et abusent de ce fameux sens de la formule. Découvrez les « possibilités de carrières », les « ambiances de travail agréables » et même les « salaires motivants » prétendument offerts par Quick, Mc Donalds, Carrefour et consorts. Tout bien réfléchi, pourquoi les candidats se priveraient de monter en épingle deux ou trois anecdotes pour retenir l’attention des recruteurs ? C’est de bonne guerre, non ?
Soyez donc avides de rencontres avifaunistiques plutôt qu’adepte des balades dans la nature. Prétendez faire des business plans sur la comète depuis l’âge de 5 ou 6 ans. N’ayez pas peur d’en faire trop. Vantez-vous d’avoir envoyé votre premier email en 1996. Et devenez la risée de tout le web 2.0 :
Notez que pour dénoncer l’abus de langue de bois dans les offres d’emploi, vous pouvez aussi vous inspirer des lettres de « non-motivation » de Julien Prévieux… Attention tout de même aux employeurs un peu trop zélés, qui auraient la mauvaise idée de transférer votre prose nonchalante à votre conseiller Pôle Emploi.
Moralité ?