Noël approche, et comme de juste, les parents vont se précipiter pour acheter des cadeaux multiples et colorés à leurs petits branleurs chères têtes blondes, au rang desquels on trouvera, bien sûr, des jeux vidéos pétillants et bien conçus. Mais voilà : dans ces charmantes productions sucrées et amusantes se glissent parfois d’abominables jeux de destruction, avec de la guerre, du sexe, de l’argent ou des mots grossiers (ou tout ça à la fois. Si !) Heureusement, Gouvernemaman a tout prévu !
Eh oui : pour aider les pauvres parents, toujours un peu à la ramasse en matière de technologies et décidément débordés sur l’éducation de base de leurs petits morveux rejetons, la Secrétaire d’Etat à l’Economie Numérique et Aux Sites Web Qui Font Pouic Et Plonk au sobriquet de rappeur, NKM, leur offre une magnifique base de données en ligne, JeuxVideoInfoParents.fr, qui va leur permettre de trier le bon grain de l’ivraie.
Ouf.
Grâce à ce site fort bien conçu pour éliminer les parents les plus computer-challenged qui utiliseraient encore (ah ah) Internet Explorer 8 – quelle bande de nazes, tout de même, IE8, franchement, ah ah ah – en mélangeant un peu les DIV et en écrabouillant salement le texte d’information par la bottom-banner, l’internaute dérouté dans la jongle des jeux vidéos va enfin pouvoir savoir si tel ou tel jeu contient des gros mots ou pas. Notons qu’avec Chrome ou Firefox, le problème n’apparaît pas. Le Secrétariat d’Etat à La Numérisation des Familles et du Gouvernement aurait-il des griefs contre Microsoft ?
Bref, en se rendant sur la page concernant un jeu badin comme Grand Theft Auto IV, on y apprend que, je cite :
Attention : Pour des enfants trop jeunes, ce jeu peut engendrer un risque d’identification massive à des personnages immoraux, violents et sans limite. Il existe également un risque pour ces jeunes de fascination des images violentes. Enfin, ce jeu développe la valorisation d’une conduite délictuelle.
Le temps de jeu est long. Il est possible de sauvegarder à des points spécifiques répartis régulièrement dans le jeu.
Comme on peut le constater, cette petite notice est tout à fait pertinente et permet vraiment de faire avancer le schmilblick : on y apprend que le jeu contient des personnages immoraux virtuels violents et sans limite, et que des jeunes impressionnables peuvent sombrer dans la fascination violente en jouant à ce jeux et qu’ils peuvent devenir des délinquants.
Parallèlement, la jaquette se présente comme suit :
On notera qu’un parent, soucieux de ce qu’il achète, pourra constater que la jaquette ne porte pas vraiment à croire que le jeu est destiné à de jeunes enfants, et qu’il se base sur un univers rose et cotonneux de bisounours sympathiques.
Par exemple, le petit sigle « 18+ » ne signifie pas, à l’évidence, que le prix du jeu doit être supérieur à 18€, ou que plus de 18 heures seront passées sur ce jeu pour en résoudre les passionnantes énigmes et autres poursuites triviales croustillantes. La présence, dans l’image, d’une tripotée d’armes, de mines patibulaires et d’une dame dont l’occupation semble plus proche du macadam que des envolées spirituelles d’une cantatrice laissent planer peu de doute sur l’audience de l’applicatif ludique.
MAIS … Il se trouvera toujours quelque adulte pour imaginer offrir ça à son neveu de 10 ans, ou quelque généreuse mamie décidant, paf, sur un coup de tête, de l’acheter pour sa petite fille de 6 ans, avec une poupée Barbie et un sex-toy pour faire bonne mesure.
Moyennant quoi, NKM a claqué quelques dizaines de milliers d’euros du contribuable pour mettre un site en place expliquant que la jaquette cache en réalité un jeu qui peut transformer les âmes sensibles en zombies maléfiques, et payer une psychologue clinicienne pour donner une caution solide à cet exercice dont on comprend surtout qu’il est une vitrine pour les gesticulations du Secrétariat dans le domaine.
(Au passage, on notera le petit personnage sur le bandeau supérieur, en parfaite ligne avec cette constatation : un héros des temps modernes, capable avec ses super-pouvoirs de discerner facilement les jeux vidéos remplis d’intentions maléfiques de ceux qui permettent aux enfants de s’épanouir et de bien manger leurs légumes)
Mais le pompon n’est pas là : non content d’aider des parents intellectuellement très proches du concombre, ce site vient en surcroît d’un autre site, lui-même du gouvernement, mais issu pour sa part des contorsions d’une autre secrétaire, celle à la Famille, i.e. Nadine Morano.
On constatera d’ailleurs, sur http://www.pedagojeux.fr/ que les fiches concernant – toujours au hasard – Grand Theft Auto IV sont notoirement plus fournies. En outre, l’avertissement destiné à ces parents légumineux qui n’auraient toujours pas compris que le sigle 18 limitait le jeu à des majeurs avertis est parfaitement clair :
Ce jeu ne doit donc pas être accessible aux mineurs, mais réservé à un public d’adultes avertis qui l’appréciera pour ses innovations, son réalisme ou encore son gameplay.
En somme, la NKM lance un nouveau site concurrent de celui de la Nadine, ce dernier étant d’ailleurs notoirement mieux fait, et les deux partant du postulat que les adultes, de nos jours, sont des bivalves un peu mous et ne savent pas décoder de pourtant limpides jaquettes.
En tant que libéral, je trouve évidemment beaucoup d’avantages à la concurrence.
Mais lorsqu’elle s’exerce entre deux services payés tous les deux par le contribuable, il me semble rapidement idiot de la laisser s’installer surtout lorsque celle-ci se traduit par un doublement, peu ou prou, des dépenses, et surtout lorsque ces dépenses doivent beaucoup plus à l’apparat qu’au besoin : en effet, tout porte à croire qu’au delà d’une information (de base, qui tient en deux ou trois pages HTML, au plus) sur la notation PEGI, on voit mal ce qu’on peut dire de plus aux parents.
S’ils ne sont pas capables de comprendre qu’un jeu marqué 18+ s’adresse à des majeurs, qu’une jaquette présentant des personnages lourdement armés et/ou des prostituées, des monstres baveux ou des images réalistes de massacres plus ou moins décontractés ne convient pas à des gamins de moins de 12 ans, il est inutile d’espérer pouvoir les orienter sur un ou l’autre site web qui nécessitera en plus de maîtriser une technologie qui leur est totalement hors de portée.
Plus prosaïquement, ces sites sont développés quasi-uniquement pour montrer que leurs secrétariats de rattachement s’activent à faire des trucs et des machins. La finalité affichée est en réalité très vite oubliée ou totalement déconnectée de la réalité, chose un peu floue pour nos dirigeants qui ne l’ont plus rencontrée depuis des lustres.
L’écrasante majorité des parents tombent en réalité dans deux catégories : ceux qui font attention à ce que leurs enfants manipulent, et ils n’ont absolument pas besoin de ce genre de sites. Le bon sens de base suffit. Et de l’autre, ceux qui s’en contrefoutent. Et qui n’iront pas sur ce genre de sites.
Encore de l’argent fichu en l’air.