Le Rijksmuseum étant partiellement fermé pour des travaux interminables (jusqu’au début de 2013…), ses collections voyagent et c’est ainsi que la Pinacothèque peut présenter (jusqu’au 7 février) une sélection de 126 tableaux, gravures et objets d’art du Siècle d’Or hollandais. Pourquoi est-ce ici et pas au Louvre (ou au Musée Jacquemart-André), je ne sais. S’il est vrai que l’exiguïté des salles et la sensation d’enfermement sont parfois pénibles (mais on peut aussi se croire dans un intérieur hollandais d’époque), il n’en reste pas moins que nous avons là une exposition remarquable, tant par les œuvres que par la qualité des documents et panneaux de présentation; ceux-ci sont intelligemment didactiques et complètent toujours le point de vue esthétique par une explication des paramètres économiques de la société hollandaise qui a permis la naissance de ces œuvres.
Pas moins de cinq Rembrandt ici, et non des moindres : son fils Titus en moine (1660) dont le capuchon en losange encadre le fin visage, le Docteur Tholinx (1656) imposant et le Docteur Ephraïm Bueno (1647) plus effacé, un Oriental (1635; en haut) au regard pénétrant dont le turban somptueux à la chaîne d’or est baigné de lumière, et un grand et très beau Reniement de Saint-Pierre (1660) où la bougie cachée par la main de la servante dénonciatrice génère un clair-obscur somptueux, des cuirasses des soldats au grand burnous blanc, jusqu’aux disciples dans l’ombre du fond.
Plusieurs Ruisdael aussi, dont le blanchiment devant Haarlem et ce Château de Bentheim (vers 1670) peint sur une toile au format vertical : le château rendu plus imposant que nature par la contre-plongée se détache sur un ciel nuageux; au premier plan, un tronc brisé pour franchir un ruisseau. C’est un paysage tellement différent des plats pays hollandais au format horizontal qu’on hésite d’abord.
De Jan Steen, cette adorable Femme à sa toilette (1659), dans une pose que l’artiste affectionne, retirant délicatement son bas rouge, ne cachant rien de ses cuisses potelées; on voit les traces que le lacet du bas a laissé sur ses mollets. Le chien fidèle dort sur l’oreiller. Cette touchante intimité est bien sensuelle.
Jan van der Heyden était aussi le directeur des pompiers d’Amsterdam et l’inventeur de la lance à incendie. Quand Amsterdam brûle le 28 juillet 1679 entre l’Elandsgrecht et l’Elandsstraat, ses hommes combattent le feu et lui dessine, puis grave (Incendie à Amsterdam, 1679). J’ai trouvé cette gravure saisissante avec ces flammes, ces volutes de fumée sinueuses, les maisons qui s’effondrent et ces petites taches noires dans le ciel, dont on se demande si ce sont des cadavres emportés dans le tourbillon. Quelques hommes sur les toits s’efforcent de dompter ce tumulte de fin du monde; je ne pensais pas qu’on pouvait si bien rendre en gravure une telle apocalypse de feu et de fumée, avec, au premier plan, le contraste de la masse noire des maisons encore intactes.
Enfin, pour finir de vous convaincre de la qualité des œuvres présentées ici, un petit Vermeer bien connu, La Lettre d’Amour (1669), un de ses tableaux où la décomposition de l’espace est la plus construite, où le regard est conduit inévitablement vers l’essentiel. Le premier plan est un envers informe, fait de murs et de rideaux, à gauche et à droite : le seul rôle de cette surface est de rétrécir notre vision, de la concentrer et l’amener à la scène derrière l’ouverture. Le second plan est un volume, une profondeur scandée par le rythme régulier des carreaux au sol et éclairée par la fenêtre : là est le supposé cœur de l’action, la dame et sa servante, la lettre qu’on ne sait pas encore déchiffrer. Le regard se heurte ensuite à la surface du troisième plan, le mur et le meuble du fond, qui ne semblent être là que pour clôturer la scène. Mais le quatrième plan est celui des tableaux accrochés au mur, des fenêtres qu’ils ouvrent vers une autre réalité, de la nouvelle profondeur qu’ils apportent : le sens est là, dans ce bateau symbolisant le départ de l’être aimé, qui nous donne la clef de l’ensemble, qui nous permet de savoir qu’il s’agit là d’amour et d’absence, de titrer le tableau et de comprendre la scène.