Au bout du métro de New York, par delà ses quartiers populaires, loin de Manhattan qui n’est plus qu’un liseré fantomatique à l’horizon, la plage de Coney Island, pétrifiée dans ses glorieuses années 60 avec sa promenade de planches sur une morne lagune et son parc d’attraction antédiluvien, figé dans le ciel gris des arrière saisons post modernes, enivre l’imagination empreinte de nostalgie douceâtre.
Pour y être allé, une fois, essuyant un fort orage qui vida la plage d’un seul coup, remplissant la station de métro de familles vociférantes, je dois dire que cet endroit est unique. Tout y est d’un kitsch yankee très théâtral et en même temps, par delà ce grotesque, ce maquillage outrancier, d’un dénuement étrange. Cette plage est un palimpseste de tristesse et de joies enfantines, une beauté fanée, surannée qui refuse l’évolution du temps. C’est le côté soviétique des Etats-Unis de garder les oripeaux d’une grandeur passée. Du reste, Little Odessa, le quartier russe de New York est juste accolé à cette plage.
L’orage avait vidé le lieu de ses occupants comme dans cette vidéo hivernale. Moi qui habite une ville balnéaire tissée de villas, je ressens ici le même sentiment d’absence, cette absence des journées grises et froides d’hiver où tout est figé en une architecture d’abandon. Un lieu populaire, vide, occasionne toujours un malaise que je qualifierai de syndrome Tchernobyl.
La pluie avait fait fuir cette population gouailleuse et colorée, ces mères obèses à la progéniture agitée, ces gens de tous horizons dont New York est tissé. La petite station de métro s’était transformée en un abri dantesque (j’exagère à peine). Bravant la pluie, je me retrouvai quasiment seul sur cette grande étendue. La plage était désertée. Les bars quasiment vides. Le parc d’attraction mirait son squelette tétanisé dans de froides flaques. Et j’ai ressenti alors ce qu’on ressent en regardant cette vidéo.