Par Stéphane,
Hier, en sortant de la conférence de presse du festival d'Angoulême, j'ai croisé les éditions Hoochie Coochie. Et en discutant, j'ai découvert que Les déserteurs ne s'était vendu qu'à 350 exemplaires, en plus de ne pas être sélectionné à Angoulême. Or, ce livre mérite franchement plus de succès. C'est l'un des deux livres les plus inventifs que j'ai lu cette année avec les Noceurs de Brecht Evans. Et quant je dis inventif, je ne parle pas d'épate narrative. Non, je dis inventif car sa forme particulière supporte totalement le comique et le message du récit. Alors je publie à nouveau ici la critique que j'avais écrite pour les Inrockuptibles du 30 juin. Nous avons encore trois exemplaires en magasin, à serpente.
Christopher Hittinger a du sang américain dans les veines et ça se voit. Ses deux premiers livres s’attachent à confronter l’homme aux « grands espaces », et les formes qu’il choisit servent tout particulièrement à mettre en relief cette opposition. Sauf que, modernité oblige, ses récits épousent bien plus naturellement la peinture ironique des frères Cohen que l’héroïsme classique de John Ford. Les vastes étendues de Hittinger ne produisent pas des héros mais des crétins, ou tout du moins des êtres suffisamment persuadés de maitriser leur destin pour que l’on s’amuse du spectacle de les voir s’égarer.
Les déserteurs, donc, sont trois pieds nickelés décidés à échapper à leur devoir militaire, sillonnant le monde sans jamais s’y accrocher, à la recherche d’un asile ou d’un havre de paix. Bien sûr, ce paradis n’existe pas et nos compagnons finiront exactement là où tout a commencé (Mais ceci est une autre histoire). En attendant, chaque page est un espace (prison, plaine, arène ou champ de bataille) surchargé de détails qui témoignent d’une société tourmentée. L’Empire Romain, en toile de fond, est au bord du gouffre : ingouvernable de par son territoire sans cesse repoussé, ses frontières interminables de plus en plus complexes à sécuriser, il y prospère désormais des dissensions politiques et religieuses. Tout écho à notre monde moderne n’est pas fortuit, à n’en pas douter.
Or, cachée sous l’obsession américaine de l’homme et de l’espace, il en transparait parfois une autre, plus européenne mais discrète, de l’individu et du groupe, «de l’ordre et du désordre », pour reprendre Paul Valéry. On se souvient alors que Christopher Hittinger est aussi en partie Français. Entre ces deux élans, il ne reste alors qu’à jongler, sauter de plan en plan pour raccrocher les signes, et ironiser sur cette vision de l’humanité conciliant avec beaucoup d’humour et de justesse les présupposés culturels.
23 €.