Le poids de la dette et des déficits pesant sur les comptes comme dans les esprits
Depuis 30 ans, la France est redevenue un pays de cigales. Elle renoue ainsi avec les travers qui avaient été fatals à l’Ancien Régime, quand les comptes publics étaient structurellement dans le rouge. Aucun budget n’a été voté en équilibre depuis 1980. En remake des années 30, les bonnes vieilles recettes keynésiennes reconverties ont ouvert les vannes de la dépense avec le plan de relance Mauroy. L’idée de départ n’était pas insensée : on injectait de l’argent dans l’économie afin de lui refaire une santé, le déficit qui en découlait n’étant que temporaire. Mais le provisoire, comme souvent, a perduré. Pire : le déficit a changé de vocation, n’étant plus limité aux seules dépenses d’investissement, mais a commencé à financer les dépenses de fonctionnement. La France s’endette donc aussi pour payer les trombones des agents de l’Etat ! Parallèlement à cette dérive, de multiples difficultés ont concouru à creuser toujours plus le déficit : hausse des dépenses de santé, vieillissement de la population, explosion du chômage, etc. La France s’est donc enfoncée dans une spirale infernale qui a placé le remboursement de la dette au 2ème rang des dépenses budgétaires après celui de l’éducation nationale.
En 2007 déjà, selon LH2, les Français plaçaient au même niveau (44%) le chômage et la dette publique sur l’échelle des situations «tout à fait préoccupantes ». Néanmoins, l’impact de cette considération sur leur vote est resté limité : 17% des électeurs déclaraient avoir choisi leur candidat en prenant notamment en compte ce critère contre 33% pour le chômage.
Une fois élu, pour résorber l’hémorragie, Nicolas Sarkozy a poursuivi de manière zélée la politique de réduction du nombre de fonctionnaires, appliquée depuis 2002. Partant du postulat que l’embauche d’un fonctionnaire pèse pendant près de 60 ans sur les comptes publics, l’Etat se doit de limiter les nouvelles recrues. Afin de rationaliser les dépenses de l’Etat, les cartes hospitalières, judiciaires, militaires ont été remodelées, tandis qu’est actuellement mise en discussion la réforme de la carte territoriale.
A situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles
La crise a évidemment changé la donne. A l’instar des autres pays, la France a tenté d’endiguer la crise en ouvrant grand sa bourse. L’argent, introuvable un temps (« les caisses sont vides », nous rappelait le chef de l’Etat), on en disposait désormais à foison : plans de sauvetage aux banques, emplois aidés, grands travaux, soutien à l’automobile, aides aux entreprises primes diverses, baisse d’impôt, etc. Et, parallèlement à cette explosion des dépenses, les recettes sociales s’effondrent inversement à la hausse du chômage. Les chiffres les plus récents peuvent en faire frémir plus d’un : l’an prochain, le déficit public devrait atteindre 8,5% du PIB et la dette 84%. Les pouvoirs publics devront emprunter chaque année 250 milliards : on trainera le remboursement de la charge de la dette comme un énorme boulet. Il pourrait devenir le premier poste de dépenses budgétaires à partir de 2012…
L’alibi de la crise ne fonctionne plus
Aussi, à la suite à la frénésie dépensière, le retour de bâton risque d’être très violent. Nicolas Sarkozy a annoncé une conférence nationale, réunissant les responsables locaux, de la sécurité sociale et de l’Etat, pour « parler du déficit de la France ». L’opinion publique fait également monter la pression de son côté. Ce qu’on pouvait justifier pendant que les fondements même de l’économie vacillaient, l’est aujourd’hui de moins en moins pour les Français. En novembre, 83% des Français se déclaraient « inquiets » face au déficit et la dette de l’Etat, dont 28% « très inquiets ». Cette angoisse se traduit concrètement sur les choix privilégiés par les Français : selon l’IFOP, 72% pensent que, malgré la crise, la France doit coûte que coûte éviter d’accroître son endettement et son déficit. Un résultat en hausse de 12 par rapport à février. L’électorat du Modem est le plus mobilisé sur cette problématique, suivi de celui de gauche et enfin celui de l’UMP.
Sur les solutions préconisées, les Français privilégient sans surprise dans une écrasante majorité une baisse des dépenses de l’Etat (à 90%) plutôt qu’une hausse des prélèvements obligatoires (10%).
De même, ils se montrent sévères sur la hausse des impôts locaux : ils ont en effet augmenté de 35% entre 2004 (vote de la loi de décentralisation accordant de nouvelles attributions aux collectivités) et 2007. 72% des Français estiment que cette hausse est « injustifiée car les collectivités locales ne font pas assez d’effort pour réduire leurs dépenses de fonctionnement», contre seulement 28% qui pensent qu’elle est « justifiée car ont en charge de plus en plus de domaines d’intervention ».
Un grand emprunt qui ne fait pas recette…
Dans ce contexte, le grand emprunt n’apparaît évidemment pas très vendeur. Ce qui se voulait à l’origine être un grand projet fédérateur, les Français prêtant de l’argent afin de préparer la France aux défis de l’avenir, a d’ailleurs vu sa voilure largement réduite dans la proposition de la commission Juppé-Rocard. Il s’agirait d’un emprunt limité à la fois dans son volume et dans son périmètre d’action, et souscrit uniquement auprès des marchés financiers.
Il semble que les Français ne voient dans ce nouvel emprunt que de la dette s’ajoutant à de la dette. Tant sur le principe que sur son montant, ils se montrent assez rétifs au projet. Selon un sondage IFOP, 67% préfèrent un emprunt limité plutôt que massif (32%). Le critère d’âge apparaît être le plus clivant : seuls les plus jeunes sont plus favorables à l’idée d’un emprunt important. Un jeune sur deux âgé entre 18 et 24 ans y adhère. Mais, plus grave, selon BVA, le principe même de l’emprunt est rejeté par une majorité : 39% seulement le soutiennent.
C’est dans ce contexte difficile au vu de l’opinion que Nicolas Sarkozy devrait trancher sur cet emprunt dans les jours qui viennent.
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Mais au-delà de la question du grand emprunt, afin de répondre aux injonctions bruxelloises découlant du Pacte de stabilité et de croissance et de diminuer le poids écrasant de la dette, le gouvernement devra procéder à des choix par nature très impopulaires. Et, que ce soient des coupes drastiques dans les dépenses publiques, l’allongement de la durée de cotisation ou la hausse des prélèvements, il aura grandement besoin d’une opinion publique très sensibilisée à la question de la dette publique pour faire avaler bien des pilules amères.