Nous allons maintenant vers Santa Croce. Cette église est franciscaine, la plus importante sans doute. Elle a été élevée à partir de 1294, d’où ses formes un peu lourdes, mais elle n’a été consacrée qu’au 15ème siècle. Michel-Ange et Galilée reposent ici mais ils ne sont pas seuls ; Dante, Machiavel et Rossini sont là aussi, de même que 276 pierres tombales pavant le sol. Certaines sont protégées de cordes pour ne plus les fouler au risque d’effacer les figures. Le tombeau de Michel-Ange est sculpté par Vasari. L’allégorie de la sculpture, au centre, se prend la tête comme si elle ne pouvait comprendre ce qui a poussé le Maître à ces poses nues, ces torsions des corps, ces exhibitions de muscles. Or le corps exprime l’esprit. Et la Pietà de Vasari, en fresque au-dessus du buste de Michel-Ange, le rappelle. Après le tombeau de Dante, un tabernacle supporte une Annonciation de Donatello en pierre dorée. Le monument à Galilée est très baroque, du 18ème siècle. La tombe de Machiavel, du même siècle, est beaucoup plus sobre. Une seule jeune femme, juchée sur sa tombe comme une Mémoire, porte son buste en camée. Les chapelles à droite du chœur sont ornées de fresques de Giotto. Il faut mettre une pièce dans la machine pour obtenir une minute de lumière. A Florence il y a toujours autant de petits bénéfices. Les scènes peintes à fresque présentent la vie de Saint Jean l’Evangéliste, la vie de Saint-Jean Baptiste, et la vie de Saint-François.
Nous passons Oltrarno par le pont aux mercis pour longer le quai Torrigiani. La jeunesse s’y promène, en groupes ou en couples. Denis en profite pour nous compter une histoire d’amour alors que nous abordons via Maggio le nid qui l’abrita. Bianca Cappello était una bella ragazza que le futur Francesco 1er, héritier du duché de Toscane, enleva. Il établit sa maîtresse au numéro 26 dans un palais, et l’épousa, avant de tomber amoureux ailleurs et de se lasser d’elle. Elle était belle et finit mal, on peut voir son portrait aux Offices.
Nous abordons Santo Spirito alors que les filles ont envie de glaces. Mais en cette saison, le « fameux » glacier du coin connu de Denis a mis la clé sous la porte et seuls trois enfants jouent au ballon sur la place. L’église a été dessinée par Brunelleschi dès 1436. Faute de boules sucrées, nous y entrons. L’intérieur est sombre, d’autant que le crépuscule commence à tomber. Les 35 colonnes séparant trois nefs font comme une forêt un peu mystérieuse. Dans la sacristie octogonale construite par Sangallo, un Christ nu de Michel-Ange jeune vient d’être installé. Son corps pâle, lisse, en bois de tilleul, est celui d’un jeune garçon impubère. Il fut caché durant des siècles de pudibonderie, pour éviter le « scandale » d’un Fils de Dieu entièrement nu, figuré avec le corps d’un enfant de dix ans. Michel-Ange a traduit ici son expérience interdite de dissection de cadavres d’orphelins pour apprendre la charpente humaine.
Nous passons le pont San Trinita alors que le soleil se couche, tachant d’orange vif le fond du ciel. Des couples d’adolescents des deux sexes ont enjambé la balustrade pour se nicher sur les piles, face à l’astre. Leurs émois hormonaux ont besoin de la splendeur de la nature pour se sentir en harmonie. L’Arno, dans ses basses eaux, roule un flot lent couleur amande. Nous poursuivons jusqu’à l’église Santa Trinita, à l’intérieur gothique. Elle offre surtout ses fresques de Ghirlandaio dans la chapelle Sassetti à droite du chœur. Il faut encore faire défiler les pièces pour examiner l’œuvre durant les explications – et nous nous trouvons bientôt à court. Ce n’est pas pour rien que le florin fut inventé à Florence. La vie de Saint-François est figurée sur fond de la Florence du 15ème siècle. Laurent le Magnifique, ses trois fils, et Ange Poliziano, poète, leur précepteur y sont peints. Une autre fresque présente l’Adoration des Bergers peinte en 1495, il y a plus de cinq siècles !
C’est enfin l’heure de la glace sur le Passo. Les gourmandes s’en emplissent la goule comme des gamines en mal de récompense. Si nous sommes quinze dans le groupe, seuls quatre mâles figurent au palmarès : Denis le guide, deux maris et moi. Tous les autres sont des femmes, épouses mais surtout filles-seules de 25 à 50 ans. Claire fait exception avec ses 14 ans, fille de l’un des couples. Elle est sympa, vive et idéaliste ; elle veut être journaliste, au grand dam de ses parents qui la voulaient comptable – comme eux. Nous nous promenons un moment sur le Passo encombré de familles et de jeunes qui se montrent dans leurs atours dominicaux. Il y a une tradition de la « montre » ici, de l’exhibition même pour les adolescents. Il s’agit de se faire voir, de se faire remarquer, de faire des rencontres. Le pays est convivial malgré ses traditions marchandes frisant l’avarice.
Pour expier les glaces, il faut monter au sommet du campanile du Duomo, par ses 414 marches. Le ciel est clair et nous avons une vue complète de la ville illuminée. Le campanile, commencé par Giotto en 1334, a été achevé en 1359 par Talenti mais tient bien debout. De sa hauteur, pourtant pas bien grande à 84,7 mètres, la ville s’étale à nos pieds. Les monuments paraissent des sortes d’îles, reliés par les colliers de lumières des rues. Les gens d’en bas semblent des fourmis qui se hâtent lentement à leurs affaires.
Nous revenons à l’hôtel pour prendre possession de nos chambres et nous rafraîchir avant d’aller dîner. Le repas a lieu à la Taverna Guelfi, dans la rue du même nom. Après les Gibelins de ce midi, c’est au tour des Guelfes ce soir d’être honorés. Les Gibelins soutenaient les empereurs venus d’Allemagne tandis que les Guelfes étaient partisans du Pape : cette opposition partisane domine tout le moyen-âge. Je prends des penne maison et des tripes à la Florentine qui se font attendre un moment mais qui valent le coup. Le dessert est un tiramisu pas excellent mais au mascarpone de véritable bufflonne.
La promenade digestive nous voit errer dans la Florence nocturne, fraîche en cette saison. Ponte Vecchio, aux boutiques toutes fermées, place Della Signoria face aux Offices, aux statues colossales et au dessin sculpté dans une pierre d’angle dont Denis nous dit qu’il serait de Michel-Ange séduit par le profil d’un prisonnier qu’on allait pendre. Les statues de style kolossal du Ragazzo, de Persée, de Neptune (« le gros machin blanc » selon les Florentins), de Judith et Holopherne, de l’enlèvement des Sabines, permettent d’élégants commentaires féminins sur la représentation théâtrale du corps humain et les prouesses techniques des sculpteurs. L’enlèvement des Sabines en contrapposto, sculpture que l’on peut observer sous tous les angles sans qu’il y en ait un de privilégié, obtient beaucoup de succès. Le Neptune a été érigé à l’endroit même où Savonarole a été exécuté, ce afin d’empêcher la foule d’en faire un lieu de pèlerinage en révérence à cet illuminé pré-écolo. Les nymphes et faunes nus qui l’entourent sont assez érotiques. Le Persée en bronze de Benvenuto Cellini ne vaut pas David ; il est plus hiératique, moins naturel, mais c’est un homme, jeune et solide, qui plaît aux femmes – surtout d’un certain âge. Claire fait la moue.
Nous terminons la soirée au Café Rivoire, célèbre pour sa tasse de chocolat. Ce breuvage chaud qui ne comprend nulle goutte de lait ressemble à une couverture de profiteroles. Céline en est écoeurée malgré sa gloutonnerie et la baraque qu’elle s’était montée dans sa tête. La place est calme et peu de spectacle s’offre à nos yeux ce soir. La saison est finie et les vendeurs, les musiciens, les bateleurs s’en sont allés. L’hiver est déjà là.
Nous faisons quand même un détour par le Baptistère et ses portes en bronze présentant la vie de Saint-Jean Baptiste, puis des scènes de l’Ancien Testament. Entre la porte sud et la porte du Paradis, cent ans passent et avec eux le style brut. Les artistes vont de la fresque de bronze (Andrea Pisano) au bas-relief (Lorenzo Ghiberti). Ces explications, fort intéressantes, semblent passer par-dessus la tête du groupe. Nous allons voir encore le sanglier de bronze des Halles, une grosse bête brute demi-couchée parmi les crabes, les grenouilles et les escargots d’un bord de mare sculpté. Les petits yeux porcins, l’air brutal et rusé à la José Bové, les rudes soies et le groin hardi sont un gage de fécondité pour les femmes, selon la tradition. Et chacune de caresser le groin tout brillant d’usure, en laissant tomber dans la fontaine une pièce depuis la gueule du Bestial. Même Claire y sacrifie – on ne sait jamais. Nous revenons à l’hôtel pour y dormir avant la randonnée qui commence demain.
We visit Santa Croce church where Michelangelo and Galilee are buried, we also see Oltrarno the Bianca Cappello palace, Santo Spirito and San Trinita where the life of san Francesco is painted on a wall. A chocolate cup in the Café Rivoire ends this day in Firenze.