Les Impromptus Littéraires - la lettre...

En cette époque de missives au Père Noël, les impromptus nous ont proposé d'exploiter le thème de "la lettre"...
Bah, il ne faut pas me prendre au mot ni me mettre au pied de la lettre... voila ce que ça donne (in situ)...

"Neacşu's letter", source originale, wikimedia commons, domaine public

« Alpha ».

Lorsqu’il était parvenu à la lourde porte en chêne, il n’avait plus assez de souffle pour actionner le volumineux heurtoir.

Une main posée sur la poitrine, il avait suivi le rythme des coups saccadés de son cœur, l’enjoignant à se calmer.

Se composant une prestance digne du vénérable hôte auquel il allait rendre visite, il frappa calmement trois coups distincts sur le bois massif.

La porte s’ouvrit sur un vieil homme en robe de bure, la chevelure blanche tombant en cascade sur des épaules un peu voutées.

« Maître, maître, s’écria le visiteur. Il m’est arrivé un prodige !

-   Quoi donc, jeune disciple écervelé ?

-   J’ai reçu un signe !! Je suis sûr qu’il s’agit de l’annonce de ma prochaine introduction dans le temple du savoir ! »

A ces mots, le vieil homme entraîna son jeune visiteur à l’intérieur de la demeure.

A l’exception du scriptorium, toutes les pièces étaient plongées dans l’obscurité, balayées par une bise saisissante.

Le jeune impétueux pris place sur un banc poussé en toute hâte devant la cheminée où une bonne flambée crépitait.

Fouillant dans les replis de son habit, il sortit un petit rouleau de parchemin et le tendit au vieillard. Celui-ci se cala dans un grand siège matelassé et fermant des paupières fripées sur ses yeux aux reflets blanchâtres, il murmura :

« Mon enfant, mes pauvres yeux me trahissent… je n’y vois plus guère… explique-moi la raison de ton trouble… 

-   Maître, c’est ce dont vous m’aviez parlé ! C’est une lettre ! Je l’ai reçue ce matin et je n’ai cessé de la balayer du regard encore et encore, c’est incroyable, une lettre, pour moi !

-   C’est en effet incompréhensible… je ne pensais pas que cela arriverait si tôt…je ne sais pas si tu es prêt…

-   Oh Maître, je vous en prie, j’ai fais tant de progrès ! Les temps sont venus, j’ai besoin de votre sapience, Maître…

-   Bien… raconte-moi ce qu’il y a sur ta fameuse lettre…

-   Maître, c’est magnifique, ça parle d’une pente abrupte à gravir, ardue au possible, on peine à arriver au sommet. Puis, c’est une chute vertigineuse qui vous laisse pantois, transi de frayeur et de merveilles à peine entrevues…

-   Bien, très bien… dis-moi, est-ce que cela évoque aussi un centre évidé, protégé par les deux pentes ?

-   Je ne sais pas, peut-être… oui, c’est possible… oh, Maître, qu’est ce que cela signifie ?

-   Mon jeune élève, va prendre mon matériel dans le coffre et installe-toi à ma table de travail. Tu vas recopier cette lettre avec une matière particulière qui va donner un relief à ce que tu vas tracer. Ainsi, même si mes vieux yeux font défaut, le bout de mes doigts me permettra de te révéler le mystère de la lettre que tu as reçue… »

La voix du vieillard tremblait d’émotion tandis que son élève réunissait les ustensiles demandés.

« Maître ?

- Oui ?

- Comment utilise-t-on ceci ?

- Jeune imbécile, trempe-donc la longue tige soyeuse dans la fiole de liquide noir. C’est une plume d’oie et de l’encre, nous nous en servions dans les temps anciens pour envoyer des missives et pour consigner notre savoir…

- Des missives ?

- Des lettres si tu préfères. Presse-toi donc, l’heure avance et je sens le sommeil me gagner… »

Penché sur un rouleau de velin, le jeune élève passa de longues heures à tenter de recopier sa lettre. Il suait à grandes gouttes malgré la fraîcheur du scriptorium. Ses muscles brûlaient, ses doigts engourdis par la fatigue ne parvenaient presque plus à tenir la plume. Au beau milieu de la nuit, il bondit sur ses jambes et secoua doucement son vieux Maître endormi au coin du feu éteint.

Plaçant le velin sous les doigts aguerris, il retint son souffle, scrutant chaque mouvement des yeux fatigués sous les paupières rougies.

Une larme roula sur la peau tannée par la trop longue succession des années.

« Maître, que se passe-t-il ? Vous vous sentez mal ?

-   Mon petit, ce n’est rien, c’est l’émotion… voyons, deux pentes, une à gravir, une qui offre son inclinaison glissante… le triangle entre les deux… c’est… c’est…

-   Oui ?

-   C’est un A… c’est miraculeux ! Un A, le Premier des Signes, le début de tout ! De tout, m’entends-tu ? »

Abasourdi, le jeune disciple demeura bouche bée, son regard passant alternativement du visage du vieillard au tracé en relief qui veinait le velin.

«  Un A ? Un A !

-Oui, mon jeune disciple ! Et tu vas bientôt découvrir 25 autres lettres mystérieuses avant d’accéder au temple du savoir… ».

Cette nuit, le vieux Maître sut qu’il avait encore une mission à accomplir avant de quitter cette terre : guider son élève dans la connaissance des 26 signes sacrés.

Il allait lui enseigner les mystères et la maîtrise du Grand Alpha-Beth.