Joyce Carol Oates : Fille noire, fille blanche

Par Gangoueus @lareus
Joyce Carol Oates croquée par Jason Bowen.

Il y a des auteurs qui occupent les devants de la scène. Leurs noms vous reviennent souvent aux oreilles, leurs ouvrages vous pendent au nez lorsque vous passez chez le libraire, à la FNAC ou encore sur un blog ami auquel vous rendez une visite de courtoisie.
Vous l’aurez compris, Joyce Carol Oates fait partie de ces auteurs. Je reste cependant extrêmement méfiant sur les avis unanimes autour d’un auteur. J’ai trop souvent été déçu en tant que lecteur. C’est dans ce contexte, que j’ai saisi l’opportunité de découvrir cette auteure américaine par le biais de la nouvelle campagne Masse Critique du site Babelio.

Tout de suite, nous avons vibré en phase, Joyce C. Oates et moi, quant au style choisi par la romancière pour conter son histoire. La narratrice se nomme Generva « Genna » Hewett-Meade et revient quinze après sur la disparition de la jeune fille noire qui partageait sa chambre sur le campus. Elle est une jeune étudiante du prestigieux établissement du Schuyler Collège créé par son arrière-grand-père, riche notable de Philadelphie, quaker en son époque et marqué par l’idéalisme de ce mouvement. Le père de Genna, Maximilian Meade est un grand avocat militant avec des mouvances radicales, ayant soutenu des actions musclées entre les années 60 et 70, et défendu des activistes engagés entre autres contre la guerre du Vietnam. C’est cet héritage familial que porte en elle, Genna, quand elle rentre au Schuyler College et fait la connaissance de sa camarade de chambre, Minette Swift, fille du charismatique pasteur afro-américain Virgil Swift. Nous sommes en 1974. Après la ségrégation raciale qui a eu ses heures de gloire durant les deux tiers du 20ème siècle aux États-Unis et la récente lutte pour les droits civiques des populations afro-américaines, la cohabitation avec une jeune noire n’a rien de banal dans ce collège où Minette est boursière.
Genna possède l’ouverture d’esprit offerte par une éducation dans une sphère familiale peu conformiste, entre le côté hippy de ses parents, et la philanthropie de ses aïeux. Minette, elle, n’a pas le choix. Elle s’accommode de cette cohabitation, avec le désir farouche de ne pas se laisser apprivoiser. Car, Minette possède un tempérament hors du commun. Hautaine, pédante, on sent en elle le désir de se barricader derrière un mur d'attitudes. Elle ne se reconnait dans aucun groupe du collège, se concentre dans un premier temps sur ses études. Loin de se faire des amis, elle semble se tisser un réseau d’inimitié auquel elle répond par l’indifférence. Seule Genna semble la comprendre. Quand elle va constater un éclat de verre sur la vitre de son bureau, alors une série d’événements vont s’enchaîner pour entrainer nos deux pensionnaires dans une lente descente aux enfers.
Voici un roman brillant dont j’ai apprécié l’écriture et le courage. Joyce Carol Oates nous replonge dans une époque pas si lointaine où les tensions raciales étaient encore manifestes aux Etats-Unis. Le personnage qu’elle brosse de Minette Swift est intéressant, et on ressent le mal-être de cette jeune fille. La romancière est toutefois ambiguë, refusant de prendre partie comme ce fut le cas parfois pour son personnage Genna. Il me semble que l’écriture de Oates est encore imprégnée de cette tension sociale, raciale et tous ses sous-entendus. Minette a-t-elle inventé de toutes pièces, les faits racistes qu’elle semble subir? L’ambiguïté de l’auteure est captivante. Ce roman est une belle leçon sur la possibilité ou l’impossibilité de vivre ensemble, sur la possibilité ou pas de comprendre l’autre.
Pourtant, à l’instar du roman d’un autre grand auteur américain, William Faulkner, j’ai nommé L’intrus qui traite également de la question raciale et du lynchage, le titre me semble galvauder. Et Oates ne s’en cache pas. Car si le projet initial de Genna est de raconter l’histoire de Minette Swift, c’est progressivement la relation entre la figure impressionnante du père Max Meade et Genna qui s’impose.
Minette n'est finalement qu’un prétexte.


Un livre que je recommande. Lu dans le cadre de la campagne Masse critique de Babelio.


Joyce Carol Oates, « Fille noire, fille blanche »Edition Philippe Rey, Titre original : « Black girl, white girl »
Traduit de l’anglais par Claude Seban, 374 pages, 1ère parution en 2009


Vous trouverez ci-après quelques critiques intéressantes : Leïloona,
Incoldblog, Amanda Meyre