L’été 2009 la mort ravit au monde, à Citizen Dominique
Fourcade et à eux-mêmes deux chorégraphes, Pina Bausch et Merce Cunningham,
dont la silhouette engagée ne cesse pourtant d’aimanter la mémoire d’un
« je » témoin et fils. Comment écrire la danse ainsi envolée, la
nudité à partir de laquelle il va falloir penser/panser le quotidien des
journées automnales ? Comment accompagner ce départ dont le mouvement vers
la disparition ombrée n’a rien d’une évidence définitive ? Sous le signe
de l’entre-deux, Dominique Fourcade compose un texte dans lequel, en
observateur participatif, il décrit le réel brusquement stupéfait. Le monde
reste comme un décor, dont le vide étonnamment vivant et plein perturbe la
perception amoureuse du corps vertical. L’écrivain constitue alors l’autre du
danseur : accompagnant son éloignement tracé à l’abandon du néant, il
copie avec passion un réel qui s’efface dans le temps, et croise l’horizon en
sondes multipliées. À l’aide de sons assemblés en figures-sens, le prosateur
version poète module une respiration qui s’efforce d’inspirer ce qui dès le
manque restitue pourtant la vie. Le gouffre, certes, entaille l’existence. Mais
la connaissance par le(s) gouffre(s) propose de remonter du côté de l’origine et
de l’écriture des pas en arrière. Le sujet tombe alors sur une scène
primitive — une plage, un chien, un geste ludique : apparaître disparaître,
partir revenir — dans le creux de laquelle il retrouve la vie des morts.
« Les fées avides » accompagnent les mouvements imprévus du hasard.
Ainsi le destin anticipe ce que mourir veut dire. Sa voix conte ce que la
nature a de plus simplement éblouissant : une route, un paysage, et
l’arabesque bouleversante des papillons en qui l’on peut voir l’écho de mises
en scène humaines (désir de l’autre, en l’autre, pour l’autre, à l’approche de
l’autre, au point où le même renonce à l’identification). Quel vraisemblable
nous reste-t-il à vivre à partir du moment où l’essentiel a cessé de battre ?
Qu’est-ce qui du corps continue le contact du monde ? Peut-on vivre selon
l’inactualité d’une chair, témoin d’un passé qui ne passe pas et qui barre la
fluidité des sensations ? Le réel copie Proust, la nature redouble Bausch
et Cunningham, le ciel envie à Manet la ferme évidence de ses bleus. La mort
subtilisera-t-elle à l’écrivain l’audace entêtée avec laquelle il structure
tout ce qu’une émotion pourrait désassembler ? L’insilence impose avec précarité ce qu’il faut prononcer dans
l’embrasement du quotidien, lorsqu’au tout début de la mort l’invraisemblable désarme
le recueillement du présent.
La mort absente un état que l’écriture, fatale, reconduit dans une
improvisation réglée. Le vertige, lui, ne disparaîtra pas dans la compagnie basculante
des morts.
Contribution d’Anne Malaprade
Dominique Fourcade
Eux deux fées
Chandeigne, 2009,
28 pages. 7 €