Dans les prisons russes et françaises */ Pierre Kropotkine

Par Essel
Piotr Alexeïvitch Kropotkine (1842-1921) est chronologiquement le troisième fondateur de l’anarchisme au XIXe siècle, après Proudhon et Bakounine. Ses tentatives d’organiser des luttes ouvrières et paysannes lui font connaître les conditions de détention d’alors, aussi bien en Russie qu’en France. Cette vision « de l’intérieur » conforte alors les observations qu’il a pu mener et les témoignages qu’il a pu collecter, en tant que rapporteur à la commission locale pour la réforme des prisons en Russie. C’est pourquoi, bien avant la conception de quelques ouvrages faisant la synthèse des théories de ses deux prédécesseurs, il avait publié dans la revue Nineteenth Century à Londres, entre 1882 et 1884, huit articles qui, bien avant l’essai Surveiller et punir de Michel Foucault, exposent la situation de l’emprisonnement et posent la question de l’utilité sociale et morale de l’emprisonnement.
Qu’observe-t-il ? Dans les faits : la saleté des cellules, la surpopulation carcérale, le mépris des règles élémentaires d’hygiène, la quasi-rupture des détenus avec leurs liens familiaux et sociaux, l’inaction des détenus ou leur exploitation pour un travail peu valorisant payé une misère ; dans les effets : près de la moitié des gens sont d’anciens détenus qui ont récidivé, la prison ayant été surtout pour eux un lieu d’éducation au crime. A la question de savoir si la prison corrige la moralité des détenus et les décourage de tomber à nouveau sous le coup de la loi, il lui faut bien répondre que non. De fait, elle ne fait que couper le détenu des tentations qui l’entourent, des incitations produites par le monde extérieur. Entre ses murs, celui-ci n’a plus de choix, plus de libre-arbitre. Libéré, il n’a pas davantage de force morale pour y résister que lorsqu’il y est entré. Il en a même moins, puisqu’il a côtoyé pire que lui, et peut espérer être plus malin pour ne plus se faire prendre, puiqu’il a désormais un casier judiciaire qui rend moins facile son embauche, etc. Au final,
« les prisons n’améliorent pas la conscience morale des détenus. Elles ne les détournent pas du crime. » (p. 251)
Ce constat reste hélas toujours d’actualité. Les prisons, en effet, sont davantage conçus pour protéger la société des actes jugés immoraux de certaines personnes, en les en excluant, purement et simplement. Un ouvrage qui, au-delà de son intérêt historique, relance le débat sur les moyens d'enrayer le crime. 
KROPOTKINE, Pierre. – Dans les prisons russes et françaises : Londres, 1887 / trad. de l’anglais . - Le Temps des cerises, 2009. - 287 p.. - ISBN 978-2-841-09752-4 : 15 €.

Prison – législation – condition de vie - crime.