Le hasard a voulu que je lise, en dehors de toute véritable volonté de ma part, presque coup sur coup, deux livres dont le héros est fou et fréquentant parfois les hôpitaux psychiatriques parisiens, mais en même temps, doué et célèbre, doué et aimé, doué et source d’inspiration d’un livre récent.
Aucun d’eux ne renie le terme de fou et de folie, ce que j’apprécie. Ils n’utilisent pas cette horrible langue de bois administrative qui atténue les termes mais certainement pas les situations !
Fous donc et non seulement malades mentaux, le peintre Garouste qui raconte son histoire dans son livre troublant : « L’intranquille » et le père de Gwenaëlle Aubry, François-Xavier Aubry, juriste, professeur à la Sorbonne, qui souffrait, lui aussi, d’une psychose maniaco-dépressive.
C’est sa fille et elle l’aime. Elle l’a longtemps protégé comme un enfant mais maintenant, après sa mort, elle essaie de mieux le cerner pour mieux le comprendre. Elle en fait le portrait en vingt-six petits chapitres et en suivant l’ordre alphabétique, de A comme Antonin Artaud, enfermé lui aussi dans cette maladie à Z comme Zelig, l’homme caméléon et psychotique de Woody Allen qui devient gros près d’un gros, vert et roux dans un pub irlandais, nazi parmi les nazis, un petit homme que l’on voit dans la foule, en fuite, toujours en fuite.
Mais c’est un portrait impossible, toujours éclaté, éparpillé en de multiples personnalités, toujours changeantes, jamais stabilisées, au centre absent.
« …mon père n’était pas comme les autres, il était les autres, il ne voulait pas s’en faire aimer, il cherchait en lui, celui qu’il pourrait aimer, tous l’habitaient simultanément. …il a préféré les cendres à tous vents dispersées, peut-être a-t-il trouvé, dans le désert blanc de la mort, ce que depuis toujours il cherchait : le droit, enfin, de ne plus être quelqu’un. »
J’ai beaucoup aimé cette recherche du père par la fille, philosophe agrégée elle aussi, spécialiste de l’Antiquité, traductrice des œuvres de Plotin, ancienne élève de L’ENS. Son écriture est très belle. Elle se donne le temps de retrouver son père en longues phrases claires qui s’étirent, sans qu’on s’en aperçoive, tant tout semble lumineux malgré les vérités douloureuses qu’elle découvre et révèle. Le dernier chapitre de ce portrait d’un père psychotique mais aimé n’est qu’une seule phrase qui se développe sur deux pages pour enfin encercler cet acte d’amour filial qu’est ce beau récit entre l’affirmatif et l’énigmatique «Personne» du titre et le «quelqu’un ?» interrogatif du dernier mot, le mot de la fin.
Un livre à ne pas laisser de côté ! (Sans contre ordre de Levraoueg, ce livre est le 14e de la rentrée. La barre des 2% est enfin franchie!)
Personne de Gwenaëlle Aubry, Prix Femina 2009 ( Mercure de France, novembre 2009, 159 pages)