Là, je remonte carrément à ma première fois à Roland. Je suis un môme de onze ans et j’ai déjà le virus du sport. J’ai la chance d’habiter à deux stations de métro de la Porte d’Auteuil. Les parents d’un copain d’école m’offrent une place pour la finale de 1974.
C’est drôle, mais j’ai un souvenir en… noir et blanc de mon arrivée, ce dimanche, tout en haut des tribunes. Je revois, de très haut, la silhouette de Manuel Orantes, dont je faisais mon favori contre le tout jeune Björn Borg. Même de si loin, on distinguait la petite serviette attachée à son short. Comme je jouais tous les dimanches après-midi dans l’équipe de foot du club qui jouxtait à l’époque Roland-Garros, j’ai dû quitter à regret ma place au bout de deux sets gagnés par Orantes pour rejoindre mes petits copains. Je m’étais dit pour me consoler que je ne perdais pas grand chose, un set au maximum, tant Borg était dominé. Le soir, aux nouvelles à la télé, Borg avait soulevé le trophée !
Deux ans plus tard. Cette fois, avec un ou deux potes, on est bien organisés. On prépare bien nos coups. Les mercredis, on se lève tôt et on se fait préparer les sandwiches par nos mères. On arrive à neuf heures devant les portes du stade, sac de scout à l’épaule et casquette sur la tête en prévision d’une longue journée au soleil. Et on attend l’ouverture. A cette époque, pas de réservation six mois à l’avance. Les billets, valables partout dans l’enceinte, se vendent tous au guichet. Je crois qu’il y avait d’ailleurs une seule entrée. On arrache, contre cinq francs, nos sésames de la main du guichetier et on se rue dans les allées pour accéder au Central, seul et unique but de notre journée. C’est là ou ça se passe. A l’époque, pas de central-bis ni de Suzanne-Lenglen. Comme on est les plus rapides, on se poste tout en bas de la grande tribune, au niveau du filet, exactement en face de la chaise d’arbitre. Pas possible d’être mieux placés. C’est le deuxième mercredi du tournoi, et on attend pendant des heures le quart de finale Borg-Jauffret. LE match. Je me rappelle de la formidable impression produite par le Suédois, mon idole, qui était alors le double tenant du titre et dont je copiais intégralement la tenue, bandeau et bracelet en éponge. La puissance de ses coups, en coup droit et en revers à deux mains, associée à un lift infernal m’avaient, autant que François Jauffret, laissé sans voix. Le courageux Français avait eu l’immense mérite de recoller à deux sets partout et de pousser le jeune phénomène au bout d’un cinquième set. Par une chaleur de dingue, quelle ambiance sur ce Central bourré à craquer ! Je n’avais évidemment jamais connu ça. Ni probablement les observateurs plus avertis. Le journal L’Equipe avait titré le lendemain: “C’était Jauffret-Guichard”.
A suivre…