Lia Rodrigues, Pororoca (cl. Vincent Jeannot)
Pororoca fait partie de ces spectacles dont j'attends beaucoup. Parce que c'était la première fois que je voyais une pièce de Lia Rodrigues, dont la renommée est aujourd'hui installée ; parce que c'était la première fois que Lia Rodrigues était invitée au Théâtre de la Ville (espérons que ce ne sera pas la dernière) ; parce que, Brésilienne travaillant au sein d'une favela de Rio de Janeiro, elle semble bien placée pour nous parler de la société humaine et des difficultés qu'elle traverse. Oh je sais, vous allez dire que c'est une grosse naïveté de démocrate européen, tant pis, j'assume. Dans cette pièce, du moins, Lia Rodrigues a manqué cette dimension sociale et politique. Hélas, j'ai vu beaucoup de bonnes idées, mais pas d'idée. Une cellule sans noyau.
Grosso modo, Pororoca représente une société, à tout le moins une communauté (huit femmes et trois hommes, formidable troupe à l'oeil brillant), au sein de laquelle la sexualité est le centre de tout. Société organisée en couples, duos, trios amoureux toujours changeants, hommes-femmes, femmes-femmes, hommes-hommes, corps à corps parcourus d'une nervosité compulsive. Sensualité latente, êtres frénétiquement jouisseurs, déchaînés comme des grenouilles en rut, ils forment une communauté organique, soudée par une sociabilité de l'accouplement. Il y a des moments de suspension, semblables au répit nocturne. Un individu, par hasard, s'extirpe aussi parfois du groupe. Débranché, il paraît mélancolique. Mais il est vite rattrapé, réintégré.
Ces gens ont l'épuisement gai. Il y a bien quelques tensions, on se marche dessus, on veut se faire une place comme dans les trains de Central do Brasil, mais avec infiniment plus d'urbanité ; car le coït revient furtivement, par lequel tout conflit s'évite et s'aplanit. Du sexe comme vecteur de civilisation, il y aurait beaucoup à dire, et cette vision de kamasutra revient souvent chez les chorégraphes ces dernières années (Gilles Jobin, Alain Platel, Kataline Patkaï, notamment).
Mais à ce point Lia Rodrigues s'égare, enchaîne les workshops un tantinet répétitifs, jusqu'aux clichés rebattus de l'homme-animal et des danseurs qui dévisagent le public pour lui renvoyer sa propre image. Nous sommes des animaux, regardez... Or nous, c'est VOUS. Ha ha ! vous êtes bien eus !
Hum. Je ne suis pas de la religion du neuf à tout prix, mais ce plat-là, Jan Fabre nous l'a déjà servi (à la fin de Parrots & Guinea Pigs en 2002, si je ne m'abuse) et il est toujours aussi fade.
La pièce se termine sur le reflux du Pororoca - détail que la plupart des spectateurs, passablement énervés ce soir-là et peu enclins à quelque forme d'écoute que ce soit, n'auront sans doute pas vu. Les danseurs, partie de nous-mêmes, remontent parmi nous, en sens inverse de notre regard ; comme le Pororoca, courant induit par la marée montante, reflue à l'embouchure de l'Amazone. Encore une idée qui n'aura pas été exploitée : idée d'un contre-courant, mais contre qui et pour quoi faire ? Encore un peu de travail, et Pororoca pourrait devenir un chef-d'oeuvre.
♥♥♥♥♥♥ Pororoca, de Lia Rodrigues, a été donné aux Absesses du 25 au 28 novembre 2009. Voir la pièce en images sur le site de Vincent Jeannot, ainsi que les points de vue de Guy Degeorges et du blog Sur l'Octuple sentier.