Il y a quelques jours, on apprenait la déconfiture assez pénible de Dubaï. Les émirs, jouant de grosses sommes dans l’immobilier et la finance, ont subi la crise de plein fouet et se retrouvent avec une ardoise babylonesque de dizaines de milliards d’euros à régler. Les bourses ont serré les fesses, et le grain est passé, en apparence. En apparence, parce que, pendant ce temps, de bien sombres nuages s’accumulent au dessus de … la Grèce.
Et la Grèce, c’est un peu une autre dimension que Dubaï.
Non pas que les problèmes des scheiks soient quantité négligeable : ils sont, en partie au moins, responsables d’une catastrophe en puissance. Si Dubaï tombait complètement, la panique reviendrait s’installer sur les places boursières mondiales.
Si la Grèce représente une menace plus importante que celle de Dubaï, c’est surtout par sa proximité géographique et financière : il s’agit d’un pays de l’Union Européenne, et, de surcroît, qui partage avec la France la même monnaie. Une cessation de paiement de celui-ci provoquerait une onde de choc redoutable : la relative confiance dans l’euro s’effondrerait très vite, et avec elle, celle des états qui le soutiennent. Et à ce petit jeu, la France, la Belgique et l’Italie sont plutôt mal placés.
Or, ce scénario est bien plus crédible qu’il n’y paraît, et toujours pour les mêmes raisons : les finances des créditeurs ne sont pas extensibles à l’infini, les taux d’intérêt n’ont aucune chance de rester bas indéfiniment, et, surtout, la dette de la Grèce et des autres gros endettés de la zone Euro, France en tête, n’est pas absorbable par l’inflation.
En effet, comme le souligne fort justement Loïc Abadie sur son blog, ces états, tout comme les Etats-Unis, n’empruntent plus à long et très long terme. Depuis le début de la crise, les montants récupérés sur les marchés sont à peu près les mêmes, plans de relances mis à part, mais les maturités, elles, tendent à se raccourcir dangereusement.
Et pour qu’une inflation « rabote » les remboursements, il faut que celle-ci soit notable (et en tout cas supérieure au petit 1% actuel) et dure suffisamment longtemps. 10 ans d’inflation à 10%, et la dette en monnaie constante voit son poids diminuer dans un facteur 2,5 …
Avec des maturités à un, deux et cinq ans, et une inflation au plancher, les emprunts coûtent cher. On comprend dès lors qu’une déflation donne de sérieuses difficultés intestinales à nos gouvernants.
En clair, on a fait de la cavalerie, et on a misé sur un cheval, l’inflation, qui trotte dans le mauvais sens…
Heureusement, il nous reste la Propagande. Dans un article d’anthologie, le Bigaro nous explique pourquoi tout ça n’est pas bien grave. Pour lui, et pour reprendre le cas spécifique de la Grèce, tout va bien et même mieux que bien puisque les sauveurs de ce pays trop endetté se bousculent au portillon:
- il y a d’abord les copains européens : pensez donc, ils ont plein de thunes, ils vont pouvoir aider. Non ?
- ensuite, il y a le FMI. Ok, on ne peut pas officiellement s’en servir parce que bon, question confiance, ça la foutrait mal, mais bon, y’a tout de même le FMI. Et comme il a, lui aussi, tout plein de fonds, ça ne devrait pas poser de problèmes. Non aussi ?
- ah oui, on peut aussi dire que la Chine va venir mettre des ronds dans la Grèce. Et en plus, la Chine n’est pas en difficultés, hein. Si ? Ah. Zut.
- et puis bon, la Grèce est dans la zone Euro et comme sa faillite serait un risque systémique il n’en sera pas ainsi et puis c’est tout. Je l’ai déjà dit ? Ah bon ?
Bref. Un grand moment de journalisme auquel, malheureusement, les quotidiens nationaux nous habituent actuellement.
En somme, la Grèce ne fera pas faillite parce que voyez-vous, ce serait krès krès moche alors non, circulez, et serrez les fesses aussi un peu.
A la limite, la faiblesse des arguments en carton fait plus peur qu’autre chose et si le pire n’est pas certain, la façon générale dont est traitée l’affaire, que ce soit par les journalistes ou par leurs alter-egos de showbiz, les politiciens, montre que ce « pire »-là n’est pas du tout improbable.
…
Pour se rassurer, on pourra toujours consulter l’amusant petit portfolio proposé par Le Monde qui a mené une enquête palpitante pour constater comment l’Agence France Trésor préparait les douleurs aux parties basses à venir avec le verre pilé d’aujourd’hui.
Ce pays est foutu.