Faisant suite aux derniers événements qui ont secoué la ville de Montreuil, le Collectif Liberté, Égalité, Justice (Clej) lance un appel sans équivoque afin d’attirer l’attention des pouvoirs publics sur les dérives inquiétantes des forces de sécurité en matière de maintien de l’ordre [1]. Dans ce sens, le collectif exige qu’une enquête impartiale soit diligentée pour que toute la lumière soit faite sur les violences disproportionnées commises à l’occasion de cette intervention policière qui avait pour objectif de démanteler une occupation illégale, mais pas illégitime, de locaux abandonnés. Plus largement, les signataires de cet appel entendent dénoncer la criminalisation de plus en plus prégnante des mouvements sociaux et militants.
Le mercredi 8 juillet, alors que des militants venaient soutenir les revendications de squatteurs qui occupaient les locaux d’une ancienne clinique, ils se sont vus opposer un important dispositif policier qui n’a pas hésité à faire un usage disproportionné de la force, notamment en pratiquant de multiples tirs de flash-ball, blessant huit manifestants dont l’un perdra un œil. Six jours plus tard, on assistera à la répétition de ce scénario alors que les manifestants étaient venus dénoncer les violences policières précédentes. Pour mémoire, les auteurs de l’appel précisent que «depuis 2005, ce ne sont pas moins de 7 personnes qui ont perdu un œil dans les mêmes conditions, dont 5 pour la seule année 2009». Dés 2007, les militants associatifs et syndicaux s’étaient déjà mobilisés pour dénoncer l’usage intempestif d’une telle arme au regard des risques encourus par les personnes ciblées, mais les pouvoirs publics faisaient la sourde oreille alors qu’ils se retranchent aujourd’hui derrière l’imprécision avérée du flash-ball. N’était-ce pas là une raison supplémentaire pour en interdire son usage? En outre, le Clej souligne avec force que la Commission Nationale de Déontologie de la Sécurité (CNDS) elle même avait condamné l’usage souvent inapproprié de cette arme. Personne ne pourra sérieusement contester ni l’objectivité, ni le sérieux de cette instance qui pointe l’existence de violences illégitimes, et rappelle que «l’utilisation de la force doit toujours être proportionné, et l’emploi de moyens d’appui s’effectuer avec discernement» [2].
Fort de toutes ces constatations, le collectif exige notamment que les auteurs de telles violences ayant fait des victimes en répondent devant les institutions judiciaires afin d’établir leur responsabilité aussi bien administrative que pénale. Mais encore, l’ensemble des organisations signataires de cet appel proposent qu’un moratoire suspende l’utilisation des armes dites «à létalité atténuée» (mais létales tout de même) [3]. Les citoyens pourront apprécier toute la subtilité de cette expression, sans omettre l’impeccable cynisme quelle sous-tend. Aussi, «il est urgent de rétablir un fonctionnement de nos institutions policières conforme aux engagements internationaux de la France en matière de droits et de libertés», insiste le collectif. Puis de rappeler que l’État français a fait l’objet de condamnations sans équivoque énoncées par la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH), ainsi que de dénonciations multiples par nombre d’organisations attachées à la défense des droits fondamentaux [4]. Si nos autorités politiques s’empressent de stigmatiser avec véhémence toutes les dérives commises par d’autres nations en matière de répression policières, il faut demeurer congruent et agir de même sur son propre territoire. Force est de reconnaître que les violences institutionnelles ne sont malheureusement pas l’apanage des seuls États autocrates. Faut-il rappeler à la mémoire collective la nature des événements ô combien tragiques et insupportables commis par l’État français en octobre 1961, mais encore en février 1962, alors qu’un certain Maurice Papon était alors préfet de police de Paris? Certes, et c’est le moins que l’on puisse attendre d’une nation qui se veut le porte drapeaux des droits de l’homme, si des faits d’une telle ampleur ne se sont plus reproduits depuis ces années noires, non seulement les dérapages graves se perpétuent, mais de plus, ils ne sont quasiment jamais sanctionnés à leur juste mesure par nos tribunaux, portant en cela gravement atteinte à la qualité/crédibilité de notre démocratie.
À juste titre, cet appel n’oublie pas de dénoncer la criminalisation rampante des luttes sociales et politiques, phénomène cristallisé notamment par des condamnations particulièrement sévères lorsqu’il s’agit d’émeutes urbaines qui ne sont le plus souvent que la conséquence d’inconduites notoires de la part de certaines forces de l’ordre. Alors, les signataires de s’insurger contre «ces dérives policières qui tendent à s’inscrire dans un contexte particulièrement inquiétant d’intimidation de l’expression sociale et militante [...], et appellent à s’opposer à cette alarmante banalisation des atteintes aux droits et aux libertés…». Qu’on ne s’y trompe pas, puisqu’il s’agit bien ici de la problématique fondamentale soulevée par la vigilance active du collectif liberté, égalité, justice, qui œuvre au nom de tous les citoyens. En effet, il faut bien mesurer combien chacun peut faire l’objet de telles violences illégitimes, pour peu que le contexte y soit propice, et cela quelles que soient les opinions des uns et des autres.
C’est avec la plus grande acuité que le collectif cite en préambule de son manifeste cet inoubliable propos tenu par Hannah Arendt: «le totalitarisme ne tend pas à soumettre les hommes à des règles despotiques, mais à un système dans lequel les hommes sont superflus» [5].
[1] Lire l’appel publié sur le site du syndicat de la magistrature
[2] Consultez les différents rapports annuels de la CNDS
[3] Lire l’étude réalisée par l’École Nationale d’Administration Pénitentiaire sur les risques liés à l’usage des armes à létalité atténuée.
[4] Les condamnations de la France signalées par le RAIDH
[5] Hannah Arendt, Les origines du totalitarisme: Le système totalitaire, 3 tomes, éd du Seuil, 1998.
Illustration: Photo publiée sur le site nantes.indymedia.org