À Saint-Fons, la municipalité socialiste avait mis en place un système permettant de financer l’association Léo Lagrange et indirectement le PS local dans les années 80.
Avec le procès de l’affaire de Saint-Fons cette semaine, la justice va statuer sur un système mais aussi sur une époque. Celle des années 1980. Des années “paillettes”, où il fallait briller pour exister dans des médias devenus incontournables. Des années où les campagnes électorales commençait à coûter de plus en plus cher … alors qu’aucun financement public n’était prévu pour les partis politiques. Les petites combines d’hier sont devenues de grands systèmes, à droite comme à gauche. Pour gagner une élection à l’époque, il valait mieux avoir des marchés publiques à négocier… et le moins possible de scrupules. Lorsque la justice s’en est mêlée, quelques élus l’ont payé cher, mais beaucoup sont passés entre les gouttes. Surtout qu’au moment où les affaires éclataient, la loi venait enfin de moraliser la vie politique en offrant un vrai financement public aux partis et aux candidats.
Vingt ans de magouilles
Si l’affaire de Saint-Fons se retrouve devant le tribunal correctionnel de Lyon, c’est parce qu’elle a survécu au temps, aux changements de mœurs et de maires. À Saint-Fons des élus socialistes ont perpétué pendant une grosse vingtaine d’années un système de pompage de l’argent municipal au profit d’une association proche du Parti Socialiste. Le montage financier a été inventé par Franck Serusclat. Un proche de François Mitterrand. Sénateur-maire, il jouissait d’une aura nationale et pesait dans le PS du Rhône. Créée en 1950 par Pierre Mauroy, la fédération Léo Lagrange va devenir, selon des spécialistes des affaires politico-financières, la deuxième mamelle du PS après le système Urba.
La raison est à chercher du côté de Saint-Fons. Une ville paradoxale : ouvrière mais riche. De nombreuses entreprises d’industrie lourde, une partie de la vallée de la chimie, y ont élu domicile. Grâce à la taxe professionnelle, Saint-Fons dispose d’une jolie cagnotte. La municipalité de gauche décide de s’en servir pour faire du social. Un objectif honorable en soi, mais la justice soupçonne des “détournement de fonds, abus de confiance et autres faux et usages de faux”.
Le système s’est installé dans le temps et à aucun moment, il n’apparaît qu’un élu et notamment Yves Montgenot, le successeur de Franck Serusclat à la mairie de Saint-Fons, n’ait un jour songé à l’arrêter. Au mépris des lois et du risque pénal, la tambouille interne a duré.
Un homme de droite allié à un policier
Pour devenir une affaire, il aura fallu que vienne le temps de l’alternance politique. En 2001, Michel Denis, divers droite, est élu maire avec pour programme d’assainir la gestion de la ville. “Je ne pensais pas faire de la politique un jour, mais quand j’ai appris ce qu’il se passait à Saint-Fons, je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose“, se rappelle celui qui fera éclater l’affaire. “Tout le monde dans l’agglomération savait ce qui se déroulait à Saint-Fons. Alors l’une de ses premières décisions sera de demander un audit sur l’attribution de subventions“. Et pour le mener à bien, il choisit une pointure : Antoine Gaudino. Un ancien policier, expert de l’investigation financière et qui connaît bien les affaires politiques pour avoir mis sur la place publique l’affaire Urba.
Antoine Gaudino rendra un rapport accablant de 1 000 pages. Il a en partie été repris par la justice. La grosse différence entre les deux documents est liée à la prescription. La justice ne statuera que sur des faits ayant eu lieu de 1998 à 2001. Le rapport de Gaudino remonte, lui, jusqu’aux années 1980. “Les socialistes avaient instauré un système mafieux”, ose même un proche du dossier.
Un an après son élection, en 1966, Franck Serusclat, fonde le Comité pour nos gosses (CPNG). Une association para-municipale qu’il présidera jusqu’en 1991 et qui avait pour but “la défense et l’organisation des conditions de loisirs des enfants de Saint-Fons”. Au fil des ans, le CPNG étendra ses prérogatives aux jeunes et même aux personnes âgées. L’association, qui ne bénéficiait d’aucune convention avec la ville, percevra une subvention annuelle de 13 millions de francs soit un peu moins de la moitié des subventions totales allouées par la municipalité.
Très rapidement, il deviendra difficile de savoir où allait l’argent et ce que faisait le CPNG. Un seul homme connaissait ces réponses : Michel David. Il avait été recruté par Franck Serusclat pour mettre en place le système sur lequel la justice statuera. À Saint-Fons, il a été aussi secrétaire de section du PS et directeur des services. La présidente qui a succédé à Franck Serusclat à la présidence du CPNG, Madeleine Picq, une des cinq prévenus, avouera n’avoir été qu’une femme de paille. Une affirmation d’autant plus facile à tenir que Michel David, vers qui tous les reproches sont tournés, est décédé en 2001. “Seul Michel David maîtrisait le fonctionnement global, élaborait son budget, visait tous les bons de commandes et les factures et délivrait les bons à payer, quand il ne remplissait pas lui-même les chèques”, précise l’ordonnance de renvoi validant ainsi les propos de l’une des cinq prévenus.
La justice n’est revenu que trois ans en arrière … seulement !
La justice qui ne pouvait revenir que trois ans en arrière a posé son regard sur un certain nombre d’agissements qui permettent de constater le flou qui régnait autour de l’utilisation des fonds du CNPG et de ceux de la municipalité. Dans les faits pointés du doigt, on retrouve la gestion du château de Dolomieu, une structure d’accueil d’enfants dont la ville de Saint-Fons est propriétaire. La municipalité ne veut pas s’en occuper directement et recourt donc en 1994 à une délégation de service public. L’Union Régionale Léo Lagrange (URLL) sera choisie. Un contrat lie les deux parties. La ville s’engage à payer l’URLL 150 francs par enfants accueillis si la barre des 7 000 visites par an est atteinte.
Il est aussi précisé que la commune versera une subvention annuelle d’équilibre d’un montant de 950 000 francs, une clause qui n’apparaissait pas dans l’appel d’offres qui du coup était faussé. Plus étonnant encore, les sommes en question n’ont pas été payées comme convenu par la ville mais par le CNPG alors même qu’aucun contrat ne les liaient. La barre des 7 000 journées n’a jamais été atteinte mais le paiement a lui bien eu lieu. L’URLL dans le cadre de la résidence de Dolomieu a été surfinancé. Des éléments constitutifs de détournements de fonds publics et de recel.
Un autre épisode de l’affaire de Saint-Fons est assez symptomatique d’une gestion pour le moins négligente de l’argent du CPNG. Il concerne Catherine Rannou. Pendant longtemps, cette fonctionnaire a été employée dans différentes associations de la nébuleuse de Saint-Fons. En 1999, elle est rattachée à l’Éducation nationale qui lui paiera son salaire et la mettra à disposition de l’URLL. Mais l’URLL continuera pendant trois ans à facturer son emploi au CNPG. Le tout pour un montant de plus de 300 000 francs annuels.
Le système mis en place était assez complexe. L’URLL s’abritait derrière de nombreuses associations satellites pour récolter l’argent du riche CNPG via des surfacturations de salariés mis à disposition ou des prestations qui n’ont jamais existé ou pas entièrement. Le tout étant approuvé par des membres d’associations siégeant souvent au conseil municipal. Dans sa grande bonté, le CNPG est même allé jusqu’à payer des formations qui ne lui étaient pas destinées.
Derrière tous ces agissements, le financement de la vie politique n’apparaît pas clairement. Le seul destinataire de ces malversations semble être la fédération Léo Lagrange et ses démembrements locaux. “Rhône-Alpes était l’une des seules régions où cette association ne perdait pas d’argent”, précise une source judiciaire. Saint-Fons y a grandement contribué.
Au procès, son secrétaire général national, Yves Blein, comparaîtra comme prévenu. À ses côtés, se trouveront Yves Montgenot- ancien maire de Saint-Fons (1995-2001), qui a expliqué aux enquêteurs avoir seulement perpétué des pratiques existantes – et des hommes et des femmes de paille. “Dans cette affaire, seule la partie émergée de l’iceberg sera jugée”, regrette Michel Denis, maire divers droite de Saint-Fons de 2001 à 2008. En matière politico-financière, la justice ne remonte que sur trois ans. En allant chercher plus loin, c’est un système d’une autre ampleur et avec d’autres responsables qui aurait pu se retrouver devant le tribunal correctionnel de Lyon.
source: lyoncapitale.fr