Hamidou SALL

Par Ananda

Mots de mer               

J’habite sur les flancs de la déesse qui serpente et coule vers la mer obèse,

Repue de ma chair qu’elle avala trois siècles durant.

La colline blanche par airs et ondes, m’inonde des nouvelles du monde de mes blessures, 

Car j’habite un monde de blessures,

Mes plaies sont énormes, et mes douleurs rebelles ont jalonné ma longue marche.

Que me raconte t-elle cette tour blanche ?

Elle me parle de mes guerres par d’aucuns provoqués et attisées,

De mes famines par d’autres entretenues,

De mes instabilités par certains voulues.

Mais que me dit-elle

De mes richesses spoliées,

De mes sanctuaires profanés,

De mes certitudes ébranlées,

De mes langues étouffées ?

Trois siècles d’un commerce ignoble ! Le code noir n’était pas civil.

Ma chair bouclier offert au feu de l’ennemi, je suis force noire à consommer avant l’hiver.

Vers un horizon lointain, ils sont partis arrachés d’eux à jamais.

Le navire a traversé la mer et sur l’autre rive a vomi sa cargaison.

Et pourtant c’est un naufrage.

Naufrage pour ma terre bafouée.

Naufrage pour ma terre humiliée.

Naufrage pour ma terre blessée.

Au poète qui chante o combien de marins, combien de capitaines !

La détresse éclatée de mon sang répandu et humilié répondra que la force vive arrachée

A mon continent se comptera toujours en des milliers de milliers

Sur des centaines d’hivernages, jetés qu’elle fut dans les profondeurs abyssales des

Cimetières marins et des plantations.

Par des nuits noires sans étoiles, la mer a longtemps hurlé son désespoir.

Elle ne voulait pas qu’au bleu de ses eaux fût mêlé le rouge de mon sang d’or.

Mais par les voiles gonflées en de cruels soubresauts, ils ont étouffé ses gémissements.

Encore aujourd’hui, du haut de ma falaise,

Lorsqu’au cœur de la nuit j’ouvre la porte océane de ma mémoire,

Là-bas entre Yenne, Dialaw, Popenguine et Ndayane,

J’aperçois au loin par de-là la béatitude des flots écœurés

Le vaste monde arraché à la substance de ma chair et de mes entrailles.

Et voici que vient à moi ce si proche lointain.

Drapé dans la douleur de sa tourmente, il prend place sur la plage des cauchemars

Evanouis, subitement éveillés et attentifs à l’imminence de la parole de l’immense

Témoin bleu, gardien des anneaux de la mémoire de la blessure sacrée.

Vents impétueux, fougueux tourbillons, ondes torrentiels, tenaces flots.

Tout est calme dans la nuit que déchire le roulement du tam-tam millénaire.

La mer rompt le silence, sous un ciel ténébreux et par un soupir amer.

Elle conte le malheur des mères qui par les portes sans retour virent s’en aller

Le jeune sang de la chair sans pouvoir sur leurs fronts hauts et nobles

Déposer la douceur d’une caresse.

Et la mer par l’écume de sa bave m’a crié sa vieille douleur.

Pour elle je dirai la souffrance de mon peuple noir violenté par ceux venus d’au-delà des mers.

Hamidou SALL.

Source : Bulletin d'information N° 60 des Amis d'Europoésie / Rencontres Européennes.