Acte I : La mini interview
La France bouge. Pour autant, le phénomène n’est pas récent. L’underground y a toujours existé de façon vivace, à Paris comme en Province, à travers formations (Ma Banlieue Flasque, Etron Fou Leloublan), mouvements (Rock In Opposition) et presse dédiée (Actuel). Mais il semblerait que les années zéro marquent un tournant. Une tendance qui s’est d’ailleurs largement confirmée. La France est devenue irréversiblement rock. Que les petits malins qui viennent de pouffer quittent la classe. Notre nation a donc quelque chose de rock. Elle le prouve une fois encore avec un nouveau groupe assez excitant. Par excitant je n’entends pas sexy, attirant ou gorgeous comme disent les anglais. Quoique… J’entends excitant par la qualité de la musique qu’il propose. Le brief ne pouvait être que passionnant. Du Krautrock, mais en version pop. Du Krautpop donc. Car la pop n’est pas cette forme de mièvrerie entretenue par certaines stars des ondes mais bien cet art de l’écrit : du songwriting. Une autre dimension de la création qui s’exprime à travers une mélodie, simple et que l’on retient, et des textes qui racontent une histoire personnelle ou imaginaire. Arriver à créer ce format mythique relève du tour de force. Y insuffler une once d’expérimentation sonore semblait une gageure. Gageons que cette équation sera résolue. Vous le constaterez d’ailleurs quelques lignes plus loin dans le reportage qui résume la journée que j’ai passé avec Axel & The Farmers. Mais avant cela, je devais de faire le premier pas. En rencontrant Axel de façon décontractée. Nous choisîmes un bar du côté d’Oberkampf, l’UFO, dont l’orientation singulièrement 60s me plut d’emblée. Alors que le dictaphone écoutait et enregistrait la première question, les Seeds chantaient dans les enceintes. Alors que la fuzz bourdonnait, la mini interview commençait.
Shebam : Pour nos lecteurs, je tiens à préciser que nous sommes dans un bar, quelques heures avant le début du concert. Alors, qu’elle est ton humeur : concentrée ou survoltée ?
Axel : Je suis plutôt en général assez stressé. Mais ce n’était pas ta question. Je dirai donc « concentré ». J’essaye de mettre toutes les chances de mon côté. Survolté, non. Je ne le suis jamais. Je suis un garçon très calme.
Shebam : Est-ce quelque chose qui se vérifie en studio quand tu enregistres ? As-tu un côté laborantin méticuleux ou rien de tout cela ?
Axel : Oui. Je suis assez difficile à vivre en studio. En fait, je bosse chez moi, je suis donc très méticuleux et je passe énormément d’heures à bidouiller derrière mon ordinateur, mes amplis et mes compressions. Dans ces moments-là, je suis complètement dans le doute. Je deviens donc assez irritable. Ma copine qui est musicienne comprend ce genre d’humeur. Cela fait partie intégrante de la phase de conception de pré production. En revanche, quand je me retrouve en studio, je suis un peu plus serein parce que j’ai essayé de prévoir toute éventualité, toute galère qui pourrait arriver. J’ai tellement bien préparé les choses que je me sens plus détendu.
Shebam : Axel & The Farmers ? A/ Serais-tu altermondialiste. B/José Bovéiste ? C/ Pétri de rock rural ? D/ Ou pas ou autre ?
Axel : En fait, je vais te décevoir. C’est complètement autre chose. C’est juste un nom qui m’est venu comme ça. J’étais en Angleterre, je jouais dans différents groupes qui avaient tous un nom avec « And The » après. J’ai trouvé ça vachement bien. J’écouté beaucoup de surf music comme tu peux l’entendre là (de la surf music passe alors dans le bar). La plupart de ces groupes avaient des patronymes comme Jerry Cole & The Spacemen. J’ai eu envie de trouver un nom avec une sonorité qui marchait bien. Puis, j’ai commencé à travailler sur un site Internet avec une ferme et des poules qui faisaient plein de petits bruits. Et de fil en aiguille, je me suis dit qu’Axel & The Farmers sonnait pas mal et c’est resté. Cela ne colle pas vraiment au style musical que je développe mais cela me plait bien.
Shebam : Tu enregistres en ce moment ton premier album, peux-tu nous en dire plus ? Quelles en sont les lignes directrices ?
Axel : En fait, il est déjà enregistré. Comment ça c’est déroulé ? Comme je te l’ai dit, je travaille beaucoup chez moi en pré prod’. Après je retrouve mes fermiers. Ensemble, on adapte les idées imaginées en amont, on essaye de trouver un terrain d’entente. Cela se passe en général très bien. Puis, on a enregistré les « basses/batterie ». Ensuite, j’ai décidé de confier le mixage à Mark Gardener, le chanteur de Ride que j’avais rencontré par hasard à Oxford. Il a écouté ma musique et l’a trouvée vraiment bien. Et ça s’est fait comme ça, tout simplement.
Shebam : Penses-tu que les années 00 sont un peu, pour la France, les années 60 anglaises et américaines ? Y a t-il un phénomène de bombe à retardement en France par rapport à l’histoire de la Pop ?
Axel : Question difficile. J’ai l’impression d’abord que les artistes français n’ont plus honte de chanter en anglais. Les labels se sont un peu ouverts aussi. C’est un vrai changement. Chaque période a développé des choses intéressantes. C’est très difficile de prendre du recul par rapport à notre propre époque. On ne sait pas comment la création sera perçue dans une dizaine d’années. Si ça se trouve, il est en train de se passer un truc incroyable et on ne s’en rend pas compte. En tout cas, moi je ne m’en rends pas compte. Je pense que cela n’a pas empêché qui que se soit de faire de bons disques, de bons morceaux. Qui plus est, je ne me sens pas appartenir à cette scène parisienne et française. Et comme je ne sors pas énormément, je ne traine pas de fait avec tous ces groupes pour qui j’ai du respect. Je ne me revendique pas d’une scène. C’est peut-être lié au fait d’avoir vécu en Angleterre pendant 4 ans. Je n’ai jamais vraiment été intégré à un pays.
Shebam : Comment définirais-tu ta musique par rapport à la scène Indé française ?
Axel : Ecoute, si je devais me sentir proche de certains groupes, je citerais Steeple Remove. Il se trouve que c’est le clavier avec lequel je joue. On a des influences communes. Turzi, Zombie Zombie produisent une musique qui pourrait plus se rapprocher de la mienne. C’est à dire, le krautrock, la musique allemande. En revanche, j’apporte peut-être cette dimension pop en plus. Ce qui me caractérise, c’est le mélange de musiques pop et expérimentales dans le traitement du son.
Shebam : Ne crois-tu pas que l’on a vachement progressé, en passant de la Mano Negra à des groupes comme Phoenix, la scène versaillaise et j’en oublie ?
Axel : Je ne suis pas vraiment sensible à la musique de Phoenix. Je sens tous ces groupes-là complètement influencés par la musique anglo-saxonne. Je trouve bien que la musique française s’exporte mais je ne suis pas particulièrement défenseur de la France à l’étranger. En fait, pour moi, il y a eu surtout des choses très bien au début du siècle. Avec Ravel et Debussy, la France était à son apogée. Comme l’Angleterre a pu l’être dans les années soixante. Je ne sais pas si l’on a retrouvé ce truc dont tu parles, cette « nouvelle vague » en quelque sorte que des compositeurs comme Satie ou Debussy incarnait. Je ne pense pas qu’on en soit encore-là aujourd’hui. Ce qui est important pour moi c’est que la musique reste authentique. Comme Gainsbourg que l’on ne pouvait pas assimiler à un groupe britannique : il avait son style. Je te dis ça, moi je suis carrément influencé par des groupes anglais. Donc là, je suis en train de me contredire (rires) !!! Je ne m’intéresse pas particulièrement à la scène française. J’écoute de la musique. Si cela me plait, je ne vais pas me préoccuper de savoir si c’est français ou non.
Shebam : David Bowie, Brian Eno, David Byrne et Television, tes références sont éclectiques : en gros, ton registre c’est le pub glam électro punk, nan ?
Axel : Cela fait effectivement partie de mes influences. En fait, on a essayé de rassembler les choses qui s’apparentaient le plus à notre musique. Pour ma part, je suis passé par énormément de phases : j’ai été nourri au biberon des Beatles, après je suis allé explorer la musique black américaine des années 70 jusqu’aux années 80 en passant par Prince. Et après sont venus se rajouter par la suite Bowie, Television, les Talking Heads, toute la musique allemande de Cologne, Can, Neu et tout le reste. On est le résultat de toutes ces années d’écoute de musiques différentes. Ça ne se calcule pas forcément après. Quand tu composes, toutes ces influences te reviennent dans la tronche. Une fois de plus, je ne me sens pas rattaché à un mouvement glam ou autre. Ce qui m’intéresse c’est de produire des morceaux, trouver une belle compo. Le style, ce sont les gens qui vont le définir.
Shebam : Cela me fait penser à cette citation : « L’important n’est pas de révolutionner la musique mais d’écrire des bonnes chansons ». C’est un peu ce que tu viens de dire ?
Axel : La personne l’a mieux exprimée que moi (rires) !!!! Mais oui, c’est vrai. En tant que musicien, je ne revendique aucun message en particulier. Je suis né dans la musique et je mourrai dans la musique. Ma mission est là : essayer d’écrire des chansons. Là est mon équilibre. Si je ne compose pendant un mois, je commence à avoir des tremblements (rires) !
Shebam : Quel groupe ne t’a jamais, jamais influencé ? La réponse est obligatoire. Certains ne veulent pas répondre mais je trouve bien de le faire…
Axel : Il y en a tellement (rires) !!!! J’ai des potes fans de Queen par exemple. Queen ne m’a jamais touché. Ça me cassait même les couilles j’avoue. Je ne pense pas qu’on puisse choper la moindre influence dans la musique de Queen.
Shebam : Tu parlais tout à l’heure des Beatles. Petite question conjoncturelle : que penses-tu de la réédition remasterisée en mono et en stéréo ? Tu dis quoi « le son du vinyle, c’est mieux », « Stop à la technologie » ?
Axel : Nan. Je pense qu’on va tous s’adapter. Comme à l’époque où l’on criait au scandale parce que le CD arrivait sur le marché. Et le CD a conquis tout le monde. En ce moment, nous vivons une période de transition. Tout le monde est un peu perdu. Moi même je suis perdu, personne ne sait comment on va faire pour affronter ces évolutions. Je vais sortir mon album en digital, j’aurais aimé avoir un support physique parce que je suis encore attaché à ces valeurs-là. J’ai l’impression que tout cela change et que l’on ne sait pas vraiment où cela va nous mener. Pour revenir à ta question sur les Beatles, j’ai le sentiment que c’est un gros coup marketing une fois de plus parce que les Beatles vendront toujours. Je ne sais pas quel est leur secret mais pour eux il n’y a pas de problème : ils ne sont jamais en prix vert ! J’écouterais bien par curiosité pour voir s’il y a un réel changement. Je sais qu’ils n’avaient pas été remasterisés depuis les années 80. J’imagine que maintenant il y a de vraies techniques de mastering un peu plus évoluées et je pense que cela a dû amener quelque chose. En tout cas, je n’irai pas racheter les Beatles nouvelle version : je les aime ainsi. Je les ai écoutés depuis l’enfance et je trouve que les morceaux sont toujours là au bout du compte. Si cela se trouve, ça va me faire mentir : je vais écouter et peut-être trouver cela exceptionnel puis demander la collection à mes parents à Noël !!! Mais cela m’étonnerait (rires) !!!
Shebam : En France, arrive t-on à vivre de sa musique et si non, quelle profession honnie exerces-tu en secret ?
Axel : Je me sens en fait privilégié ! J’ai tout fait pour trouver un moyen de gagner ma vie avec la musique. Donc, je réponds à des commandes de pub pour la télévision et Internet. L’artistique est vraiment à mettre de côté mais comme je dispose de techniques de production abouties, j’arrive en général à donner entière satisfaction. Je vis donc de cela depuis quelques années. Je t’avouerai que j’ai fait dix ans de petits boulots avant. Je suis donc ravi de ne pas avoir à me lever tous les matins et je me sens très privilégié de pouvoir organiser ma journée à ma guise.
Shebam : Que dirais-tu en chanson à la madame la crise ?
Axel : La crise, on la ressent tous. Cela devient difficile. Vraiment, je n’ai pas l’âme d’un politicien. Elle m’est tombée dessus comme beaucoup de gens. Et voilà, on va attendre, on va faire le dos rond, on va essayer d’attendre que le vent tourne en espérant qu’il y ait des jours meilleurs.
Shebam : Quelle île déserte emporterais-tu sur un disque ?
Axel : Est-ce que ce n’est pas l’inverse ?
Shebam : Je préfère cette version-là : c’est plus inattendu.
Axel : J’emmènerais la Grande-Bretagne parce qu’il y a de l’espace et qu’on peut y faire plein de choses : de la musique par exemple (rires). Je crois que l’Angleterre est une assez grande île pour s’y épanouir ! (Gloria résonne alors dans le bar).
Shebam : On inverse les rôles. Pose-moi une question ?
Axel : Est-ce que tu viens au concert ce soir ?
Shebam : Ouais. Tu joues à quelle heure ?
Axel : A 22h.
Shebam : Il y a des chances. Il faut que je négocie avec ma femme mais y a des chances pour que j’aie l’autorisation de minuit. Au moins.
Epilogue.
Finalement, je ne suis pas allé au concert d’Axel & The Farmers. Rien à voir avec ma femme ou une quelconque autorisation. J’ai tout simplement fini la soirée, saoul comme l’Europe de l’est. Mais j’aurai bientôt l’occasion de me rattraper.
Acte II : En studio avec les Fermiers.
Le métro de la ligne 2 caracole. J’ai rendez-vous dans quelques minutes avec ma photographe à la station Pigalle. Je suis en retard. Une vraie rock star. Une fois que nous nous sommes trouvés, nous obliquons vers la rue Jean-Baptiste Pigalle, dans le 9e, direction le 18. Les numéros défilent. La porte cochère donne sur une cour et nous dévions sur la droite, descendons un escalier sombre donnant sur un espace baigné d’un pâle soleil automnal. Nous entrons. A l’intérieur, un réduit approximatif ou sont coincés un canapé défoncé et quelques fauteuils usés. Sur la table, le petit attirail du rockeur en studio, comme sur la pochette intérieure de Third de Soft Machine : tasses de café, auréoles gravées dans le bois, sucre, clope, bouteilles, alcool… Le groupe est à ce moment précis en train d’enregistrer au Studio Pigalle la matière d’un DVD destiné aux bookers. Les portes sont fermées, la lumière rouge nous interdit de les rejoindre. L’impatience commence à monter. La vie en studio. Le rêve du rock critique. Elle revêt une sorte de mythologie qui lui est propre et qui doit beaucoup au cliché de la machine molle. Nous attendons. Puis, sans avoir prononcé le mot « sésame », la lourde porte s’entrouvre dans un léger grincement ouaté. Les membres d’Axel & The Farmers s’y déversent comme un torrent impétueux. Le groupe est en pleine discussion. On échange commentaires techniques et blagues diverses sur la session live qui vient de s’achever. Nous en profitons pour faire connaissance avec chacun puis nous nous glissons dans le studio. La hauteur sous plafond est frappante, la lumière y est chaude et dorée, même si elle demeure artificielle. Au fond, un petit escalier mène à la cabine où l’ingénieur du son et Axel écoutent la dernière prise. Quelques bonjours échangés plus tard et la petite bande décide d’aller déjeuner avant de poursuivre la journée de travail. Le studio est maintenant vide. Enfin quoique. Un parterre de câbles se prolongeant en forêt de micros tapisse le sol, serpentant dans un enchevêtrement indistinct. Désordre méthodique, comme dans une chambre d’ado. Au fond, un ampli trône fièrement comme un robot tout droit échappé d’une vieille pellicule de SF. L’objet est insolite, débranché, esseulé, comme si nous étions dans un musée. Alors que mon regard balaye la zone, le clic de l’appareil photo s’engage dans une mitraille ininterrompue, tout y passe, lampes, instruments, rien n’échappe à l’œil électronique de l’appareil. Le groupe revient. Chacun prend place, on procède aux derniers règlements et le morceau démarre. Dance Hall. Une longue jam krautrock, brute, vibre alors dans l’espace. Moi, je suis dans la cabine. Aux premières loges. Plusieurs prises s’enchaînent dans un flot créatif continuel. On est loin de l’image du musicien oisif. Certes, le Temps tel qu’il se déroule ici n’a rien à voir avec celui que nous connaissons habituellement. Mais dans cet espace temporel, la recherche se veut intense. Car se glisse alors dans le geste musical répété, rejoué, la version qui emportera l’adhésion du groupe. « On en refait une ? » vient marquer un bref arrêt et tous montent dans la cabine afin d’écouter la nouvelle session. Chaque musicien porte un casque, petit détail qui le sépare physiquement de ses acolytes. Il faut écouter, réécouter, disséquer chaque note, distinguer les moments de grâce des erreurs, ces pains qui sont parfois le lot des enregistrements live. Dans un tourbillon virevoltant de partitions, on choisit le morceau suivant. J’en profite pour interroger le premier membre du groupe qui se présente devant moi.
- Moi : Nom, prénom, profession.
- Le bassiste : Sébastien Dousson, bassiste.
- Moi : On dit toujours que les bassistes sont grands et patibulaires comme John Entwistle des Who ? Tu peux confirmer ou infirmer cette idée ?
- Sébastien : Moi je ne suis pas grand. Je n’ai pas d’avis sur la question. Le bassiste de Clapton est petit, non ?
- Moi : Content de la session, du son ?
- Sébastien : Ben ouais, on commence. Pour l’instant, ça a l’air pas mal. Mais on connaît cet endroit : on n’y a déjà travaillé. Quand tu connais un studio, c’est toujours plus facile. Tu sais à peu près ce que cela va donner. C’est ici que nous avons enregistré les basses/batterie. On a déjà tous bossé ici, moi, Romuald le batteur.
Sébastien me quitte et retrouve ses habitudes concentrées, mon dictaphone, lui, repart en chasse. Alors que les Fermiers accordent leurs instruments, un bouton tourné pour l’un, une corde détendue pour l’autre, notre bassiste s’est alors installé au piano, dans un coin, et laisse promener ses doigts agiles au gré de son inspiration. Là aussi, on est un peu loin de l’idée que chacun se fait du session man, comme le chantait Ray Davies des Kinks : le musicien de studio. Les gestes peuvent nous sembler à nous automatiques mais derrières ces répétitions, les « balances », se cachent ces respirations intellectuelles où l’on continue cependant de jouer. La vérité de l’artiste. Du musicien accompli, passant naturellement d’un instrument à l’autre. Tout musicien serait capable d’écrire une bonne chanson. D’aucuns l’ont peut-être déjà fait et dans ces quelques notes pianotées subsiste alors ce rêve d’écriture. Oh, bien sûr, Axel reste le songwriter du groupe mais il est évident que les musiciens ne sont pas là pour faire de la figuration. Clairement. Les idées fusent. Tout est passé au crible, les effets que l’on apportera, la structure même du morceau, son équilibre, les enchaînements de soli, le tempo. Chacun a son mot à dire, quels que soient sa qualification, son rôle au sein de la formation. Dans une telle ambiance, on se repasse tout le film de l’histoire du rock. On s’imagine petite souris au milieu de ces musiciens de légende en train de graver leurs inaltérables chefs-d’œuvre. Prenez le Velvet pendant les quelques jours où il enregistre White Light/White Heat dans l’incandescence des heures claustrophobes. L’album au noir tatouage possède également cette patine live, ce son en prise directe avec les hommes qui en ont accouchés. Impression saisissante que je retrouve ici avec Axel et ses fermiers. Le son est gorgé d’écho, je veux dire par là que l’acoustique du studio change notre perception de la musique. Ici, aucune compression ne vient la corseter. D’où cette dimension ample, quasi quadriphonique. Les Farmers s’attaquent à une nouvelle compo, Electrika, qui figurera sur l’album. Une fois de plus, je vais m’installer avec l’ingé son, histoire de profiter pleinement du panorama mélodique ! Et là, révélation ! Une intuition germe alors dans mon cerveau baignant dans un formole rock’n’roll. Sans le savoir, Axel & The Farmers marchent dans les pas du Pink Floyd du Swinging London des années 66-67. A l’époque, le groupe de Syd Barrett marque les esprits en jouant l’un des (light) shows les plus impressionnants lors du 14 Hour Technicolor Dream Free Speech Festival à l’Alexandra Palace. On retrouve des témoignages de cette période féconde avant que Syd ne sombre dans l’acide et la folie. Des vidéos montrent Pink Floyd live in studio. Ce son. Neuf. Fondamentalement psychédélique. Des performances au sens contemporain du terme. A mille lieux de ce que les autres groupes anglais font en ce mitant des années soixante. Les quatre anciens étudiants en architecture réinterprètent Interstellar Overdrive dans le fracas des claviers et le feulement des percussions. Syd promène son bootleneck sur les cordes, produisant un son distordu. L’orgue lui se décline en vrombissements orientaux. Ce souvenir me revient alors que j’écoute Axel et ses musiciens. Similitude incroyable, magique, sans jouer la carte de la parodie, de la copie conforme. Le morceau n’appartient qu’à lui même, il possède sa propre poésie, sa grammaire personnelle. Je veux partager ce sentiment avec le batteur alors que la dernière note vient d’être gravée.
- Moi : Nom, prénom, profession.
- Le batteur : Romuald Deschamps, batteur.
- Moi : N’y a-t-il pas une forme d’énergie spirituelle à jouer live en studio comme Can faisait à l’époque lorsqu’il enregistrait tout d’un coup ?
- Romuald : C’est une bonne question mais Can ne fait pas partie de mes références en fait. Je connais de nom mais je n’ai jamais écouté.
- Moi : Mais ce côté live, cette prise de risque ?
- Romuald : La prise de risque est toute relative parce qu’on connaît les morceaux. Le plus dur est d’essayer de faire du live, enfin du faux live puisque nous sommes coupés par les casques. Tout passe par les câbles. On est isolé les uns des autres. C’est presque hérétique de vouloir faire du live dans ces conditions-là : arriver à se réimprégner des souvenirs et des sensations que l’on conserve tous pour les réinterpréter ensuite en studio. Faire du live comme ça, c’est impossible.