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L’entreprise patrimoniale

Publié le 03 décembre 2009 par Jlhuss

… Rapport à l’argent (3)

Nous poursuivons la publication de la communication de Patrick Tuphé sur l’argent .

Réflexions autour de la notion d’entreprise patrimoniale, nourrie de l’expérience de la Présidence d’une PME

Ainsi, qu’est ce qu’une entreprise patrimoniale et comment gère t-elle l’argent ?

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Une définition des entreprises patrimoniales a été donnée par l’Association des moyennes entreprises patrimoniales - ASMEP - créée sous l’impulsion d’Yvon GATTAZ , ancien Président du CNPF et dont les travaux sont à l’origine du développement qui suit. On considère qu’une entreprise a gardé un caractère patrimonial si les dirigeants effectifs possèdent une part significative du capital. La notion de dirigeant effectif concerne les personnes qui ont le pouvoir de prendre ou d’orienter les décisions stratégiques à court, moyen ou long terme.
Initialement on parlait plutôt d’entreprises familiales. Cette dénomination a été abandonnée au profit d’entreprises patrimoniales, ce qui correspond plus à la réalité puisque on en dénombre trois catégories : les entreprises familiales dont une partie significative du capital est détenue par des personnes ayant un lien de parenté ; les entreprises personnelles qui sont restées la propriété du seul créateur ; et les entreprises d’associés, qui regroupent des personnes n’ayant aucun lien de parenté. Le petit groupe de sociétés que nous dirigeons est construit selon ce dernier modèle. L’intérêt de ce modèle repose sur la nécessaire complémentarité des associés et sur l’obligation de médiation qui s’impose dans les choix opérés. Il ne s’agit pas ici de protéger le patrimoine d’une famille mais de trouver des solutions qui vont dans l’intérêt de l’entreprise, chaque associé n’ayant pas obligatoirement les mêmes aspirations personnelles.

Les entreprises patrimoniales ont été réhabilitées à la fin du 20ème siècle. En effet la séparation de la propriété de l’entreprise et du pouvoir de gestion a été la règle très longtemps avec des mandataires sociaux considérés comme plus compétents, recrutés dans les meilleures écoles, et des propriétaires passifs en attente des dividendes. La primauté de ce modèle boursier a été remise en cause après que plusieurs études aient démontré que les entreprises patrimoniales étaient plus performantes et plus solides. La terrible crise que nous traversons actuellement le confirme. Les fermetures d’établissement et les licenciements qui en découlent sont le plus souvent liés à des décisions prises loin des territoires concernés par des décideurs inconnus de la population dont les porte paroles locaux ne sont que des hommes de paille, des Malaussène de la liquidation pour reprendre le personnage fétiche de Pennac.

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L’ASMEP a dénombré 17 avantages spécifiques des entreprises patrimoniales. Je vais vous épargner l’énoncé de ces avantages, mais je souhaite m’arrêter sur quelques uns en rapport avec notre sujet :
- le premier réside dans la rentabilité financière de ces entreprises patrimoniales, supérieure aux autres formes d’organisations. Cette statistique n’est pas étrangère au fait que l’on travaille plus pour soi ou pour ses proches que pour un maître. Le revers de la médaille est l’attraction que les grands groupes financiers ont pour ces centres de profit fort intéressants. La recherche d’une rentabilité à court terme les incite à racheter les entreprises patrimoniales les plus performantes pour les vider de leur substance avant de les abandonner.
- le deuxième avantage tient à la solidité financière de ces entreprises. Gagner de l’argent, c’est bien mais qu’en fait-on ?
Il est avéré que ces entreprises possèdent habituellement plus de fonds propres que les autres. Les bénéfices enregistrés, plutôt qu’être reversés aux actionnaires, sont le plus souvent conservés dans la société pour solidifier l’édifice et lui permettre de mieux résister aux tourmentes économiques. L’entreprise passe avant les actionnaires puisque les dirigeants sont les actionnaires.
Dans la période actuelle, une entreprise comme la nôtre qui a perdu 40 % de son activité en un an, continue à survivre parce qu’elle dispose de fonds propres suffisants. Nous les avons constitués en dix ans par l’affectation systématique de la totalité de nos bénéfices aux fonds propres sans se verser personnellement un seul centime de dividendes. Cela a permis de préserver la confiance des banques et surtout d’éviter des licenciements économiques.

Les différentes réponses apportées au problème de la gestion des flux monétaires

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Alors, pourquoi, me direz-vous, ce modèle apparemment plus performant n’est-il pas plébiscité ?
Les luttes sociales ont sans doute généré un rejet du modèle paternaliste trop étouffant dans une société en recherche de modernité. Mais dans ce mouvement, n’a t-on pas jeté le bébé avec l’eau du bain ? De plus, la fiscalité sur les successions qui englobait le patrimoine professionnel a été tellement alourdie il y a trente ans, que beaucoup d’entreprises ont été vendues par leur propriétaire historique à des investisseurs étrangers. Je me souviens des craintes de mon ami Jean-Jacques LENNE, actuel Secrétaire Général de la maison de l’entreprise, qui dans les années 1980, s’inquiétait de la vente systématique des entreprises auxerroises à des fonds de pension américains. Il avait raison de s’inquiéter puisque l’actualité lui donne raison.

La capitalisation des PME grâce à des fonds collectés dans la proximité semble réservée à des professionnels, des banques, des fondations ou des associations dédiées comme Bourgogne Entreprendre, mais l’investissement des particuliers dans ce domaine n’existe pas ou peu. Cela interpelle car, parallèlement, il existe environ 13 000 clubs d’investissement en bourse composés de citoyens de toute catégorie socioprofessionnelle sans parler des placements individuels en bourse gérés par les établissements de crédit. Tout se passe comme s’il n’y avait aucune interaction entre les choix individuels de jouer en bourse et la réalité économique et sociale des entreprises et de leurs salariés. Peut-être faut-il trouver de nouveaux outils financiers permettant aux habitants d’une région de devenir plus facilement actionnaires d’une entreprise locale ?
Pour résumer ma pensée, on ne peut pas être à la fois les acteurs d’un jeu apparemment virtuel et s’étonner de ses conséquences dans la réalité.

Si le dirigeant d’une PME patrimoniale n’a pas de souci de cotation en bourse, la gestion des flux d’argent est son problème quotidien.

Mais de quel argent parle t-on ? Il s’agit surtout de monnaie scripturale (virements, chèques et traites dématérialisées de plus en plus).
Cependant, l’utilisation de la monnaie fiduciaire se pose toujours, puisque la rémunération peut être demandée en espèces par les salariés jusqu’à 1 500 €.
Ce problème peut paraître incongru pour chacun d’entre vous, mais une partie de la population ne possède pas de compte bancaire ou ne souhaite pas l’utiliser pour diverses raisons inhérentes à sa situation sociale.
Le système bancaire ne tient plus compte de cette réalité et la suppression définitive des chèques non barrés nous place dans une situation complexe. Il est dangereux pour les salariés de tenir une caisse contenant des liquidités au moment du versement de payes. Cette question est un véritable casse tête à ce jour.

En dehors de ce cas particulier, la relation à l’argent se traduit par le contrôle et la gestion quotidienne des flux financiers avec les partenaires de l’entreprise que sont les clients, les fournisseurs, les pouvoirs publics - dont les caisses sociales, les salariés, les établissements de crédit.

En quoi la vie quotidienne d’une entreprise patrimoniale est-elle subordonnée à la (bonne) gestion des flux financiers ?

Je vous propose un éclairage de ce quotidien à partir de ces cinq exemples :

1) La relation financière avec les clients
Elle est la préoccupation essentielle du dirigeant car il ne suffit pas de vendre pour gagner de l’argent, encore faut-il être payé. Je vais m’attarder quelques minutes sur cette question essentielle.
J’évoquais dans la première partie de mes propos, les divergences entre les associés créateurs de notre société d’intérim d’insertion. Le manque de rigueur dans le suivi des règlements des créances par les clients fut un des éléments déterminants dans notre séparation. La vocation sociale de l’entreprise d’intérim d’insertion prenait le pas sur la réalité économique. L’acceptation d’employer nos salariés intérimaires justifiait l’indulgence que nous accordions à des entreprises qui ne respectaient pas leurs engagements en terme de délais de paiement. Ces pratiques généreuses aboutirent inexorablement à des impayés faramineux les deux premières années, avec un record en 2001 : 150 000 € d’impayés.
Cette douche froide qui aurait pu nous refroidir tout court eut deux conséquences : la première fut la restructuration de la société avec une nouvelle gouvernance et une nouvelle organisation. La deuxième fut la contractualisation avec une assurance crédit.
A ce jour, nous travaillons avec deux assurances crédit, l’une prenant le relais de l’autre en cas de refus de couverture d’une créance par la première. Mais en situation de crise, toutes les assurances deviennent frileuses, ce qui a conduit l’Etat à mettre en place un dispositif supplémentaire dénommé CAP + qui vient garantir notre assureur, mais que nous payons en plus bien évidemment.

2) La relation avec les pouvoirs publics et les caisses sociales
Il s’agit d’une charge de travail très lourde avec des flux financiers énormes mais je vous fais grâce de la description des contrôles URSSAF et autres mignardises du genre, pour évoquer un sujet d’actualité qui illustre la vigilance permanente dont doivent faire preuve les PME pour essayer de préserver leur patrimoine.
Ce sera ma minute syndicale.

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La réforme de la taxe professionnelle qui fait la une des journaux est perçue par tout un chacun comme un cadeau aux entreprises afin de les inciter à investir. Cela est absolument vrai sauf pour les 119 000 entreprises recensées par le Ministère des finances qui vont payer plus, dont 42 000 qui vont payer beaucoup plus. Vous l’aurez deviné, nous avons gagné le gros lot en faisant partie de ces 42 000 entreprises qui auront la joie de voir leur taxe professionnelle augmenter de 400 à 700 % avec la nouvelle contribution économique territoriale. Les PME des services sont les grandes perdantes de cette opération puisqu’elles vont se faire ponctionner une partie de leurs moyens alors que les multinationales de la profession ne seront quasiment pas impactées.
Vous savez «Même les plus cons peuvent comprendre l’essentiel » et à ce titre, les PME patrimoniales du secteur des services ont bien compris qu’elles étaient les dindons de la farce dans cette réforme. La veille réglementaire et juridique fait partie intégrante de notre relation à l’argent, d’où l’obligation de s’investir dans les représentations professionnelles pour se battre et défendre nos intérêts.

3) La relation avec les fournisseurs
Les fournisseurs sont des entreprises qui doivent gagner leur vie.
L’arrivée d’acheteurs professionnels a souvent déshumanisé la relation entre les donneurs d’ordre et leurs fournisseurs. Cette tendance revient en force en période de crise avec la volonté constante de tirer les prix vers le bas.
S’il est indispensable de comparer et de vérifier les coûts des prestations proposées, ce critère doit être pondéré par la qualité du service rendu. La fidélité à ses fournisseurs finit toujours par payer le jour où l’on est en difficulté passagère.

4) La relation avec les salariés
La redistribution des richesses produites dépasse le problème de l’argent. Il ne s’agit pas ici de faire des économies, mais de rétribuer au mieux les hommes en fonction de leur compétence mais aussi en fonction des moyens de l’entreprise. En la matière, la particularité des PME repose sur la plus grande proximité entre les décideurs et les salariés. Elle repose aussi sur la volonté réelle de garder des collaborateurs dans la durée. L’organisation de nos entreprises est moins pyramidale, moins hiérarchisée que dans les grands groupes, ce qui permet de garder un contact permanent avec le terrain.
Mais le dirigeant d’une entreprise patrimoniale reste un patron qui doit proposer et négocier une politique salariale. Bien que les conventions collectives fixent les minima, l’intérêt de l’entreprise est toujours d’associer les salariés au résultat par le biais d’une rémunération variable négociée préalablement avec les institutions représentatives du personnel, si elles existent. Dans un groupe comme le nôtre, il existe cinq niveaux de primes qui viennent s’ajouter à la rémunération fixe. Cette stratégie de redistribution de l’argent est la plus efficace, surtout si l’activité repose sur la force de vente, mais elle nécessite une grande pédagogie et une grande transparence quant aux règles adoptées.
Il arrive aussi que les bonnes intentions du législateur se transforment en cauchemar. J’en veux pour preuve l’attribution de la participation obligatoire quel qu’en soit le montant. C’est ainsi que l’an dernier, de nombreux salariés intérimaires d’une de nos sociétés ont reçu une participation par chèque dont le montant était inférieur à 1 euro. Les réactions ont été vives, ce que l’on peut comprendre, et nous avons passé des heures à expliquer à nos salariés que c’était la loi, même si l’émission du chèque et son envoi coûtaient plus cher que la participation distribuée…

5) La relation avec la banque
La banque est un fournisseur particulier qui possède un droit de vie et de mort sur votre entreprise si vous ne disposez pas des garanties suffisantes. Les lignes de découvert à court terme sont de plus en plus difficiles à obtenir dans la période actuelle, et les entreprises les plus fragiles en trésorerie risquent en permanence la cessation de paiement.
A contrario, celui qui possède de la trésorerie n’en devient pas pour autant un spéculateur, car la majorité des dirigeants de PME ne prennent pas le risque de jouer l’argent de l’entreprise en bourse. Seuls les grands groupes qui possèdent des services dédiés à cette activité spéculative peuvent se le permettre.

Cette partie de l’exposé n’est pas la plus passionnante mais elle illustre simplement la réalité de la relation à l’argent d’un entrepreneur patrimonial quelle que soit son activité. Tout ce qui vient d’être évoqué est un dénominateur commun à toutes nos entreprises.

Pourtant, toutes ces contraintes n’altèrent pas la motivation de l’entrepreneur.
D’où cette interrogation : quelles sont les sources de sa motivation ?

Patrick Tuphé

(A suivre)


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