Jean-Michel Mathonière a bien mis en évidence la complexité des interprétations à donner aux outils et autres éléments anciens. Il en est ainsi des lacs d'amour figurant sur la chapelle Notre Dame de la Grâce à Saint-Jean-de-Belleville (73), sur la clef de voûte de l'église de Marennes (17) et sur le claveau sculpté de Tournus (21). Si le lacs d'amour est bien une figure héraldique formée à partir d'une corde (un lacet), s'il a d'abord été employé en dehors de tout contexte de métier, compagnonnique et maçonnique, il n'en demeure pas moins qu'il figure aussi dans ces contextes. Il est possible qu'il y ait eu un phénomène d'emprunt des maçons aux compagnons, mais je penche plutôt pour l'emploi spontané et non concerté d'un symbole présent dans les images des XVIIe et XVIIIe siècle.
A titre d'exemple, on pourra remarquer comment sont noués les cordons des pénitents représentés sur une fresque du XVIIIe siècle, dans la chapelle de Sainte-Jalle (Drôme).
© Photographie Laurent Bastard, D.R.
On connaît bien par ailleurs la représentation des armoiries des cardinaux, archevêques et évêques, formées d'un chapeau et de houppes à lacs d'amour, dont le P. Menestrier a donné des exemples dans La Nouvelle méthode raisonnée du blason (1696).
Mais un autre élément vient peut-être expliquer l'emploi du lacs d'amour dans un contexte de métier. N'aurait-il pas été adopté de par sa ressemblance avec le cordeau de traçage, voire avec la corde qui suspend un plomb, dont on réduit la longueur en formant le 8 couché semblable au lacs d'amour ? Ce type de glissement progressif d'un objet usuel vers une forme symbolique n'est pas rare. En tout cas, voici ce qui a motivé cette réflexion. Il s'agit de la photo prise d'une dalle funéraire de la cathédrale saint Michel et sainte Gudule de Bruxelles (Belgique), édifiée du XIIIe au XVIe siècle.
On y distingue les outils d'un maître maçon et tailleur de pierre autour de ses probables initiales en monogramme (I C) : ciseau, maillet, règle, compas, marteau, fil à plomb, truelle, équerre (triangle isocèle) et enfin cordeau. On remarquera que ce dernier est noué en 8. S'il ne constitue pas un lacs d'amour au sens propre (les deux extrémités de la corde ne resserrent que le centre), sa forme, toujours actuelle, n'aurait-elle pas pu faciliter l'adoption du lacs d'amour en tant que symbole fraternel chez les maçons ? Car il faut noter qu'aucun autre corps de métier compagnonnisé n'en a fait usage (à l'exception des cordonniers sur leurs lithographies du milieu du XIXe siècle et des boulangers, mais dans ces deux cas, il s'agit sans équivoque de l'utilisation d'un symbole qui était désormais maçonnique).
Comme toujours : appel aux visiteurs pour faire connaître d'autres cordeaux en lacs d'amour sur des blasons, linteaux sculptés, pierres tombales...