"C'est mon homme, c'est mon mari, c'est mon couple, c'est toute ma vie."
Ainsi parle-t-elle cette femme dont on ne saura jamais le nom à son amie qui lui dit qu'il faut qu'elle réagisse, qu'elle ne se laisse pas faire,
qu'elle parte peut-être, en tout cas qu'elle ne tolère plus que son mari la frappe. Mais elle dit qu'elle l'aime et il dit qu'il l'aime lui aussi, à sa façon.
Tout avait commencé simplement : elle le trouvait beau, il la trouvait différente. Ils se sont mariés, tout allait bien. Puis un jour, la
première gifle. Et puis d'autres. Puis la violence sexuelle. Elle en parle à sa mère qui lui assène que dans la famille, on ne divorce pas et que certainement, c'est elle qui n'est pas assez
gentille avec lui. Elle en parle au médecin, qui lui donne des anti-douleurs, au psychiatre qui lui donne des anti-dépresseurs.
Et puis un jour elle part et il ne comprend pas : impossible de quitter un mari qui vous aime.
C'est un sujet très dur et pourtant, il est abordé avec une grande pudeur et beaucoup de retenue. On voit d'abord l'homme et la femme assis
chacun à un bout du divan, racontant leur histoire commune, dans des termes de plus en plus différents. Puis le visage de la femme est de plus en plus abîmé et l'homme de plus en plus agité. Ils
ne se parlent pas l'un à l'autre, mais l'un de l'autre. Elle parle de la place des femmes, il parle de son travail, de ses collègues, de ce que c'est que d'être un homme. A l'inspecteur de police
qui lui dit qu'une "plainte pour violence sur une personne n'est jamais n'importe quoi" et répond : "mais... ce n'est pas une personne, c'est ma femme". Alors il peut en faire
n'importe quoi, non ? Et d'ailleurs "les chiens, hein, est-ce qu'on enferme les gens qui tapent sur les chiens ?".
Et elle lui cherche des excuses, dit qu'il est fatigué, énervé, qu'il va changer... et inévitablement on se demande si elle veut
vraiment que les choses changent... Peut-elle être autre chose qu'une victime celle qui a accepté de perdre sa fierté et son intégrité corporelle pour se soumettre ? Celle qui n'est que
culpabilité ? Elle n'est quasiment plus personne, elle n'existe plus que rapport à lui, elle est son objet et elle est terrorisée. Le mari, tellement sûr de lui, n'en est que plus détestable, lui
qui déclare aimer sa femme, à sa façon.
Sur un sujet aussi difficile, cette bande dessinée est une grande réussite. Sans dénonciation tonitruante, elle parvient à insinuer le malaise, à
faire comprendre petit à petit une situation extrêmement ambiguë où la victime ne s'avoue pas victime et où le bourreau ne comprend pas sa faute.
Une interview vidéo d'un libraire BD (belge à en croire son accent)
Choco en parle aussi.
... à la folie
Sylvain Ricard (scénario) & James
(dessins)
Futuropolis, 2009
ISBN : 978-2-7548-0302-1 - 142 pages - 20 €