Quel est le modèle adopté par la Suisse pour ses universités ? Robert Kopp, dans cette communication devant l’Académie des sciences morales et politiques, dresse un état des lieux, précisant comment elles s’inscrivent dans le système éducatif de la Confédération helvétique, leurs particularités, les raisons de leurs performances mais aussi les risques consécutifs aux profonds changements actuels. Y-a-t-il encore une "exception suisse" ?
Etats des lieux et terminologie
- 12 universités, appelées "Hautes Ecoles Universitaires" HEU- 6 pôles de Hautes Ecoles spécialisées (une soixantaine environ, équivalent des grandes écoles françaises) HES
- 14 écoles de Hautes Ecoles pédagogiques HEP
Toutes ces Hautes Ecoles Universitaires (sauf exceptions), de taille modeste (la plus petite 2500 étudiants) regroupent souvent leurs disciplines. On assiste donc actuellement à plus de concentration (au niveau de la législation, de l’enseignement et de la recherche). Toutes sont relativement récentes. Sauf celle de Bâle, fondée en 1460. Les autres, issues d’une structure ancienne, ont été réorganisées dans la seconde moitié du XIXe siècle. Celle de Lucerne, par exemple, n’était au départ qu’une école de théologie (du XVIIe) à laquelle se sont greffées une faculté de droit et de sciences culturelles (qui englobe plusieurs disciplines).
L’autorité des cantons
Depuis toujours, chaque université dépend de l’autorité cantonale.La Suisse reste toujours très attentive à un équilibre entre les cantons, les langues, les religions. Aussi, tous les cantons (ils sont au nombre de 26 dans la Confédération Helvétique) veulent-ils avoir leur université car cela constitue un pôle de forte attractivité.
Cependant, le 19 juin 1999, la Confédération a signé la Déclaration de Bologne. Il n’existe pas de Ministère de l’Education nationale mais un secrétariat d’Etat chargé de la formation et de la recherche. L’Etat, en signant cet accord, est donc passé par dessus les autorités cantonales, sans votation ni consultation... Ce qui constitue un sorte de "coup d’état" du pouvoir central !
L’argent, le financement des universités, l’aspect financier, étant devenu des données importantes, Robert Kopp explique comment sont répartis les budgets, à quel niveau (cantonal ou national, privés ou publics), soulignant que la réorganisation a accru les postes administratifs (perte de temps et d’énergie, dit-il, car l’administratif voulant justifier de son existence multiplie les "cafés scientifiques", les "nuits des musées", les universités pour enfants", bref, les a-côtés des études universitaires proprement dites). A titre d’exemple, il cite cette anecdote révélatrice :
- en 1960, son université, celle de Bâle, (où enseignaient entre autres Karl Barthes et Karl Jaspers), le recteur M. Edgar Bonjour a rédigé l’histoire de cette université en 800 pages.
- fin 2009, pour le 550 ème anniversaire, le recteur (le nouveau !) a présenté à la presse une B.D. ! "Il faut tout faire pour ne pas paraître élitaire" commente Robert Kopp.
La Suisse connaît donc une révolution dans son paysage universitaire. Il s’agit donc d’évaluer les conséquences de ce bouleversement.
- Dans le système éducatif suissse, le Canton a tout pouvoir. On peut ainsi dire qu’il existe autant de systèmes que de cantons, c’est à dire vingt-six ! Comment harmoniser les systèmes scolaires ? Voilà un premier défi.
La Confédération s’occupe de tout ce qui ne relève pas de l’autorité cantonale, et notamment elle légifère sur la formation professionnelle, une donnée essentielle du système suisse. Faut-il créer un espace suisse de formation pour élargir encore les compétences de la Confédération, et comment obliger les cantons à harmoniser leurs systèmes ? (mesure envisagée pour 2014).
Plutôt la formation professionnelle que l’université
Si l’on examine les chiffres des bacheliers qui entrent à l’université, ils ne sont que 18.000 en 2008 (soit 19.7 % d’une classe d’âge). Mais il existe un grand écart entre les cantons. Et surtout une opposition forte à développer les entrées à l’université (pas d’université de masse comme est devenue l’université française) mais plutôt une désir de développer la formation professionnelle à laquelle les Suisses, et surtout les entreprises, restent fondamentalement attachés. Généralement, les Suisses admettent de financer davantage la recherche à condition que les sommes investies pour la formation soient, elles aussi, augmentées.2/3 des jeunes choisissent l’apprentissage dans les Hautes Ecoles pour des études supérieures sans choisir l’universisté. Les débouchés professionnels sont bien plus avantageux.
- Les nouvelles lois votées depuis 10 ans ont modifié la gouvernance des universités. Désormais, un Conseil d’université est composé de personnes nommées par le gouvernement cantonal (1/3 de politiques, 1/3 de scientifiques, 1/3 issus du monde de l’économie). Ce Conseil engage les professeurs (qui peuvent être licenciés) qui ne sont pas fonctionnaires mais tous soumis à évaluation. Chaque rectorat peut ouvrir ou fermer des filières d’enseignement (selon la mode ou l’attractivité à court terme ?).
- La moitié du corps enseignant suisse est d’origine étrangère (les conditions de travail étant meilleures qu’ailleurs, et les mises au concours étant obligatoirement internationales). Les études coûtent environ 500 euros par semestre (ce qui décourage les grèves et les mécontents), les étudiants étant évalués par des "points crédit".
Robert Kopp explique aussi l’implication des entreprises et des groupes industriels dans la recherche au niveau universitaire (15 milliards de françs suisses dont 2/3 proviennent du privé). Il n’existe pas de soutien financier permanent mais seulement un financement sur projet, limité dans le temps. 7000 chercheurs (20% en sciences humaines et sociales) ont ainsi été soutenus pour 1 à 3 années. En comparant avec la situation en France, il explique : "Premièrement, les sommes investies par grands groupes industriels -notamment pharmaceutiques- dépassent, et de loin, les sommes investies par les universités et le Fonds national suisse de la recherche scientifique. ... Deuxièmement, à la différence du CNRS, le Fonds national suisse n’emploie pas de chercheurs permanents ; il ne finance que des projets qui sont tous limités dans le temps".
En conclusion, Robert Kopp affirme : "Il n’y a plus d’exception suisse !" bien que l’université échappe encore à la dimension de masse à cause de la longue tradition de l’apprentissage. Il note aussi que bien des disciplines, jugées peu "rentables" disparaissent, le sanscrit récemment..."A trop céder aux lois du marché, les universités risquent de s’installer dans un court terme qui ne peut que nuire à la recherche." Et enfin, que la population dans son ensemble, reste méfiante vis à vis de la recherche, n’appréciant pas que les millions engloutis finissent en rapports plus ou moins utiles...