Point n’est besoin en effet d’être grand clerc pour subodorer que la circulaire que Besson a envoyée aux préfets posera plus de problèmes qu’elle n’en résoudra. D’abord, de l’avis des syndicats, rapportés notamment par le Nouvel Obs ses critères sont trop restrictifs et ensuite, Besson qui veut sembler lâcher un peu de lest mais sans trop mécontenter l’électorat de droite et surtout les plus extrêmes annonce déjà le nombre de régularisations prévisibles : «un millier de travail-leurs» (NouvelObs) et sans doute pas une de plus. Sur 5400 et quelques travailleurs sans papiers en grève depuis 6 semaines, dans 1800 entreprises, lis-je sur Le Figaro Darcos et Besson intraitables sur le travail des sans-papiers.
Un petit air de déjà vu… Qui n’incite guère à l’optimisme. Souvenez-vous de la circulaire Sarkozy – alors ministre de l’Intérieur - du 13 juin 2006. Censée permettre la régularisation des sans-papiers parents d’enfants scolarisés. La situation était quasi la même – grâce notamment à Réseau-Education Sans Frontières (RESF) et l’indignation provoquée chez de nombreux enseignants et parents d’élèves par les expulsions de familles sans-papiers - et déjà Nicolas Sarkozy “battait la campagne” pour “faire président de la République” et assouvir ainsi son obsession de gamin.
Beaucoup de similitudes qui sont fort éclairantes sur ce que nous pouvons attendre d’Eric Besson qui met exactement ses pas dans ceux de Sarko. Soumission du valet autant que prédispositions naturelles.
Examinons d’abord les cinq critères retenus par Eric Besson.
C’est dans l’article du NouvelObs déjà signalé qu’ils sont le mieux précisés : «une ancienneté de séjour en France d’au moins cinq ans, un emploi déclaré dans un secteur à tension (c’est-à-dire où il existe des postes ne trouvant pas preneur), une ancienneté d’au moins un an dans l’entreprise, une proposition d’embauche en CDD d’au moins douze mois ou en CDI, et enfin “l’intégration du demandeur”, notamment “la compréhension, au moins élémentaire, de la langue française”».
Les syndicats qui soutiennent les travailleurs sans-papiers grévistes (CFDT, CGT, FSU, Solidaire, UNSA, entre autres) estiment à l’instar de François Chérèque qu’exiger 5 ans de séjour en France est beaucoup trop : «L’année dernière, lors du précédent mouvement, on avait “à peu près trouvé un équilibre autour de trois ans”, de séjour en France et un an de travail, pour accepter de régulariser les travailleurs étrangers (…) là, cinq ans, ça ne va rien régler”.».
Le Monde du 25 novembre 2009 Besson annonce qu’un millier de sans-papiers seraient régularisables, rapporte les propos de Raymond Chevau (CGT), un des coordinateurs du mouvement qui déclare «à propos des cinq ans de présence sur le territoire cela signifie que le gouvernement a pris l’option de maintenir des travailleurs sans droits pendant cinq ans et qu’il accepte que les patrons (…) puissent, par le jeu de la sous-traitance et de l’intérim, avoir des salariés sans droits pendant cinq ans».
Meuh non ! Puisque le gouvernement entend prendre des mesures draconiennes contre les employeurs qui emploient des étrangers sans-papiers… J’y reviendrais mais vous verrez bien que ce seront les petits patrons qui paieront les pots cassés – et leurs employés, y compris en situation régulière – si leur entreprise est fermée ou pénalisée alors que les vrais responsables – les “donneurs d’ordre”, les grandes entreprises du BTP et autres secteurs, qui utilisent ces sous-traitants à moindre coût, en parfaite connaissance de cause ne seront nullement inquiétés.
Vous ne croyez quand même pas que Bouygues, Vinci ou Veolia, par ex. se verraient interdire de soumissionner à des marchés publics ou devraient restituer des subventions ?
En exigeant une ancienneté d’au moins un an dans une entreprise, Eric Besson fait peu de cas des nombreux travailleurs sans-papiers qui courent de contrats d’intérim en jobs précaires sans pour autant avoir jamais cessé de travailler, parfois pour les mêmes employeurs. Quid aussi de ceux qui, chaque matin, attendent le chef de chantier ou le recruteur pour savoir s’il feront partie du “bon wagon” de ces quasi “marché aux esclaves” qui se tiennent dès potron-minet en quelques lieux connus des sans-papiers et des entrepreneurs ?
En outre, comme le souligne le SNU-TEF FSU, principal syndicat des inspecteurs du travail, la circulaire d’Eric Besson ne concerne “que les travailleurs sans papiers déclarés par leur employeur, autrement dit ceux munis de bulletins de paye, en renvoyant la problématique des travailleurs étrangers dissimulés par leur employeur au ministère du travail, qui refuse de se prononcer”…
Précisément, je lis sur Le Monde Le gouvernement veut sanctionner davantage les employeurs de sans-papiers que Xavier Darcos – ministre du Travail – «accusé par les syndicats de “faire le mort”, a voulu, dimanche 22 novembre, “mettre les pendules à l’heure”, selon son entourage, et montré qu’il ne se désintéressait pas de ce conflit. “Ma mission n’est pas d’intervenir dans la question de la régularisation mais de combattre le travail illégal sous toutes ses formes, et notamment lorsqu’il concerne des ressortissants étrangers sans titres de travail”».
Dans un autre article du Monde Fermeture des entreprises employant des sans-papiers, une mesure difficile à appliquer, Luc Beal-Rainaldy, secrétaire général du syndicat d’inspecteur du travail Snutef-FSU.estime que Xavier Darcos “répond à côté”… Effet, pour lui «cette menace – la “fermeture administrative” des entreprises par le Préfet - touche en particulier les salariés les plus précaires, ceux qui ne sont pas déclarés par leurs employeurs. “Il vaudrait mieux leur offrir des voies pour se défendre plutôt que de les obliger à rester cachés. Dans cette affaire, il sont des victimes et sont exploités”… ».
Beaucoup d’hypocrisie aussi dans l’exigence qu’il s’agisse «d’un emploi déclaré dans un secteur à tension - c’est-à-dire où il existe des postes ne trouvant pas preneur». On le comprendrait dans l’examen d’une demande de visa puisque cela fait partie des conditions exigées pour l’immigration dite “de travail”.
«L’admission exceptionnelle au séjour (ou régularisation) restera subordonnée à la situation de l’emploi examinée dans le département» lis-je dans L’Express Salariés sans-papiers circulaire gouvernementale sur les critères de régularisation. Eric Besson est-il vraiment aussi stupide qu’il en donne l’impression ou fait-il semblant ?
En l’occurrence, nous avons affaire à des personnes qui vivent déjà en France et qui pour la grande majorité d’entre elles y travaillent déjà. Parfois depuis plusieurs années et rappelons que certains avaient des papiers tout à fait en règle et sont devenus “clandestins” à la suite d’un refus de renouvellement des titres de séjour et permis de travail, très souvent arbitraire.
Leur opposer la “situation de l’emploi” est d’autant plus hypocrite que nous savons très bien qu’ils occupent des emplois dans des secteurs - restauration, le bâtiment, le nettoyage ou la sécurité - où précisément existent de très grandes difficultés de recrutement, surtout en raison des conditions de travail difficiles, horaires et pénibilités, etc… Ce que l’on traduit très souvent par “emplois dont les Français ne veulent pas”… Ni d’ailleurs les étrangers en situation régulière plus anciennement intégrés car les patrons profitent souvent d’avoir affaire à des étrangers sans papiers pour mal les rétribuer.
«Ce n’est pas au moment où l’emploi se détériore et où le taux de chômage des étrangers non européens dépasse 26% qu’il faut ouvrir nos portes à l’immigration clandestine», affirme Eric Besson. Tiens ! Curieusement, pour une fois il semble bien certain des chiffres… Doit-on le croire ? Il est aussi menteur que Nicolas Sarkozy mais j’avoue n’avoir ni le temps ni l’envie d’aller vérifier les statistiques du chômage – en forte hausse au mois d’octobre !
Mais puisqu’on lui répète que ces travailleurs, pour dépourvus de titres de séjour qu’ils soient occupent déjà un emploi ! Ils ne font donc pas partie de ces étrangers “non européens” – n’y verriez-vous pas comme moi (au moins) un zeste de racisme ? – et il n’est pas question “d’ouvrir nos portes” : ils sont déjà là, mais de ne pas les refermer sur eux : les renvoyer d’où ils viennent.
Question chiffres, non seulement Eric Besson se contente de faire des estimations “à la louche” concernant les régulari-sations prévisibles mais il demeure très flou sur le nombre exacts des personnes en situation irrégulière connues… Catherine Coroller l’épingle à ce propos sur son excellent blog “Hexagone” (Libération) Besson embrouille les chiffres des régularisations : «S’agissant des chiffres de l’immigration, Eric Besson a la connaissance sélective. Interrogé (…) sur France Inter sur le chiffre des régularisations, sorte de secret d’état puisque cette donnée ne figure dans aucun rapport ni aucune communication officielle, il a répondu avec un certain flou : “Au titre du travail de l’ordre de 3000 chaque année”.
Il estime que «l’admission exceptionnelle au séjour des salariés étrangers pourrait déboucher sur la régularisation “d’un millier de personnes”. «En clair, beaucoup moins que les 5400 salariés sans papiers en grève (…) et infiniment moins que les quelques 200 000 à 400 000 clandestins - là aussi pas de chiffre officiel - présents en France dont une large majorité travaille».
Quant aux cas dits “humanitaires”, dit-il «c’est un petit moins, je ne cherche pas à cacher ce chiffre, simplement je n’ai pas d’outil informatique et statistique pour le faire (…) mais en France on a une Commission nationale informatique et libertés qui est très exigeante. (…) “Empiriquement”, l’ordre de grandeur serait “de 2000 à 2500″». La CNIL a bon dos ! Comme si les données statistiques étaient nominatives… J’ai beau n’être ni matheuse ni une as des stat – je m’y colle quand il le faut, quitte à reprendre mes bouquins ou mes cours - mais tout de même, qu’il arrête de nous prendre des guiches !
En revanche, il y a un chiffre qu’il connaît par cœur : l’objectif des 27 000 reconduites à la frontière au 31 décembre dont il escompte qu’il sera respecté. S’il était un chien, on l’appellerait bien entendu “Idéfix” bien qu’il soit éminemment moins sympathique que le compagnon d’Obélix.
Qu’en dire, sinon qu’il n’est pas évident que les patrons qui employaient légalement des salariés mais sans contrat de travail et/ou alors ponctuellement (intérim ou simples vacations d’une journée quand bien même seraient-elles renouvelées quasi chaque jour) leur proposassent un CDI ou un CDD de douze mois. Déjà pour la seule raison que dans une période aussi incertaine sur le plan économique et social, il serait assez surprenant qu’ils acceptent de se mettre un tel “fil à la patte” !
Quant à la dernière des conditions, “l’intégration du demandeur”, notamment “la compréhension, au moins élémentaire, de la langue française”, elle est hautement subjective. On a vu s’agissant de la circulaire du 12 juin 2006 comment les appréciations sur des situations semblables pouvaient différer, non seulement d’une préfecture à l’autre et selon les époques – les premiers dossiers déposés semblant avoir été accueillis plus favorablement – mais également pour des cas similaires dans une même préfecture.
Il est à craindre que cela ne se reproduise avec la circulaire Besson, d’autant que les soutiens des sans-papiers font «grief au gouvernement du fait que “le traitement de chaque dossier de salariés est loin d’être similaire selon les départements, et même entre des salarié(e)s de situation parfaitement identique, y compris au sein d’une même entreprise”.
C’est bien pour cela qu’il n’y a pas lieu d’être rassuré quand Eric Besson annonce que les dossiers serons étudiés “au cas par cas” - ce qui est logique en soi, s’agissant d’une “régularisation exceptionnelle” et selon certains critères. Mais quoiqu’il en dise les demandeurs seront bien soumis à “l’arbitraire préfectoral” puisqu’il précise “qu’une latitude – ou marge d’appréciation - est donnée aux préfets”. Le précédent de la circulaire du 13 juin 2007 n’incite guère à l’optimisme.
Déjà l’an dernier, face à un mouvement de grève similaire des sans-papiers, le pouvoir avait été contraint de procéder à un certain nombre de régularisations. Toujours sous le règne de l’arbitraire. Pourquoi celui-ci et pas son voisin qui présente grosso modo le même profil ? Le problème est d’ailleurs identique pour les étrangers demandant à bénéficier du statut de réfugiés. Certains étant déboutés alors que des membres de leur famille qui encourent le même danger dans leur pays d’origine ont vu leur dossier accepté. Pourquoi un tel arbitraire ?
Mille régularisations sur 5400 grévistes. Une goutte d’eau dans la mer. Sans même parler des 200000 à 400000 étrangers sans-papiers vivant en France dans la quotidienne angoisse d’un contrôle. Que comptent faire Nicolas Sarkozy et Eric Besson de ceux qui ne seront pas régularisés ?
Les renvoyer par charters entiers dans leur pays d’origine, les contraindre à nouveau à cette semi-clandestinité paradoxale soulignée par tous les observateurs de bonne foi et que résume fort bien François Bayrou cité par Libération Sarkozy écarte une régularisation massive des sans-papiers qui pointe à juste titre l’incohérence de la situation alors que ceux-ci «travaillent, paient leur impôts, paient les charges sociales» mais «sont en situation clandestine».et «clandestins aux yeux du ministère de l’Intérieur mais parfaitement réguliers aux yeux des ministères des Finances et des Affaires so-ciales» et qui souhaite que l’on trouve «un moyen de leur rendre ou de leur donner les papiers qu’ils devraient avoir».
C’est bien entendu la voix – et la voie – de la sagesse… N’en déplaise aux imbéciles qui tirent à boulets rouges, Martine Aubry ne dit pas autre chose quand elle plaide pour une “large” régularisation… Ce que Nicolas Sarkozy traduit par “régularisation massive” à laquelle il s’oppose farou-chement… J’y reviendrais dans un futur article car cela mérite d’amples développements.