Tout commence par une banale affaire de cabane. Dans une cour d'école, des employés municipaux installent une petite cabane « aux normes » pour des élèves de maternelle. A chaque récréation, les mômes rêvent et attendent avec impatience le moment où ils pourront enfin jouer. A la dernière récréation de la journée, enfin, la cabane est montée, les enfants, réjouis, se précipitent pour visiter, grimper, jouer... faire connaissance avec cet univers qu'on met à leur disposition... Ravis, émoustillés, ils crient, rient, courent...
Et là, boum, fin du rêve, la directrice arrive et met tout le monde dehors : l'accès est interdit. Cela a l'air terminé, mais ça ne l'est pas. Il manque le tapis de sol amortissant, vous savez, ces espèces de bitumes mous qu'on trouve de plus en plus sous les jeux dans les squares et les écoles...
« Certes,
je dis, il n'est pas là, mais tout de même, la cabane
est posée sur le sol, les bancs sont à trente cm de
hauteur, les risques sont pour le moins limités...
- Oui, me
répond-on, les risques sont faibles, mais si accident il y a,
nous serons en tort et passibles du tribunal...
- Ne peut-on pas quand même prendre ce minuscule risque, les laisser jouer quand même ? Après tout, il n'y a pas de raisons pour qu'ils tombent ! Et s'ils tombent, pas de raisons pour qu'ils se fassent mal... » C'est solide, un enfant de quatre ans, et pas forcément suicidaire.
Je vous laisse imaginer la réponse.
C'était l'année dernière, en fin d'année, j'avais repris le travail la veille après deux ans de congé parental et je me suis senti d'un coup projetée dans une autre dimension. Je me suis fait la réflexion que j'avais un peu oublié tout ça, oublié que nous étions dans une société régie par la peur du risque, de la chute, une société où cette peur devenait tellement tentaculaire qu'elle commençait à nous empêcher de vivre et qu'à l'école c'était peut-être encore plus symptomatique qu'ailleurs, puisque nous y mettons nos enfants qui, comme chacun sait, sont la chair de notre chair et qu'il n'est pas question qu'il leur arrive quoique ce soit qui aurait pu être évité.
Moyennant quoi, il ne leur arrive plus grand chose, rassurez-vous. Organiser une sortie à vélo nécessite tellement de précautions, se transforme en un tel parcours du combattant qu'il est plus simple de renoncer... Faire un gâteau et le manger est hors la loi (si je ne m'abuse) (risque de contamination microbienne aiguë...) et la liste des interdictions s'allonge presque quotidiennement, que ce soit dans les écoles ou dans notre vie personnelle.
Et ne soyons pas naïf, il est bien possible que l'objectif de tout ça soit tout simplement de nous rendre encore plus dépendants de la société de consommation (si on ne fait pas de vélo, on "consommera une sortie" ce qui n'est pas mal du tout, en soi, mais pouvoir faire les deux serait mieux) et de moins en moins autonomes à tous points de vue. Un enfant qui a goûté un vrai gâteau fait maison pourrait le comparer avec un autre, industriel, et ça ne serait pas forcément à l'avantage de ce dernier ! Et si on ne veut pas s'aventurer à penser que le monde dans lequel nous vivons est aussi machiavélique que ça, il nous faut tout de même admettre que si « les normes » stipulent qu'il faut un tapis amortissant sous tous les jeux publiques, cela oblige les communes à acheter ces fameux tapis (donc à consommer rendant ainsi service à l'humanité entière, n'est-ce pas, puisque seule la croissance nous sauvera !!!) ou à renoncer aux-dits jeux si leurs finances de le leur permettent pas.
D'un autre côté, si on est prêt à être un tout petit peu paranoïaque, on peut aussi se dire qu'on est préparé, conditionné à avoir peur, pour accepter l'inacceptable en terme de mesures sécuritaires liberticides... J'aurais sûrement l'occasion d'y revenir...