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Le Paris des Lobbys
En imitant la forme du guide touristique, le LobbyPlanet Paris décrit les acteurs et les rouages plus ou moins avouables du lobbying à la française. Après Londres, Bruxelles et Berlin, ce nouvel opus pose un coup de projecteur sur un monde qui n'apprécie guère la lumière.Début 2009, le Mouvement pour le droit et le respect des générations futures (MDGRF) est assigné en justice et se voit réclamer 500 000 € de dommages et intérêts par la Fédération nationale des producteurs de raisins de table (FNPRT). Une somme qui représente cinq fois le budget annuel de l’association. Son tort : avoir révélé, dans une étude scientifique, des taux de pesticides anormalement élevés sur des raisins de table vendus en grande distribution. La FNPRT estime que sa profession a été « dénigrée » par la campagne du MDRGF qui a occasionné une baisse des ventes.
Le rappel de cette affaire dans le LobbyPlanet Paris*, illustre la part sombre du lobbying économique en France. L’ouvrage pose la question : « Sera-t-il encore permis à la société civile d’exprimer son opinion sur des sujets sensibles sans craindre de se retrouver devant les tribunaux ? ». En pratique, il fonctionne comme un guide touristique. Cartes, adresses des lieux « où sortir » (palaces et autres restaurants préférés des lobbyistes), circuits thématiques (agro-alimentaire, énergie, eau...) jalonnent ainsi ses pages afin que le grand public se retrouve dans cette jungle qui préfère l’ombre à la lumière.
Si le terme lobbyiste porte en lui une connotation péjorative, sa traduction institutionnelle est « représentant de groupes d’intérêts ».
« Avec ce guide, nous posons le décor en espérant créer une dynamique et faire entrer la question de l’encadrement et de la transparence du lobbying dans le débat public »,
explique Florent Schaeffer, administrateur de l’Association internationale des techniciens, experts et chercheurs (Aitec) éditrice du guide.
Cette ONG de solidarité internationale est membre du Réseau pour l’Encadrement et la transparence des activités de lobbying (ETAL) et de la coalition européenne Alter-EU.
La France, tout comme l’Union européenne, rechigne à légiférer sur ce thème. L’ambition, née du Grenelle de l’environnement, de protéger les lanceurs d’alerte (tel
que le MDRGF), est passée aux oubliettes. L’Assemblée nationale et le Sénat ont, très récemment, modifié leur règlement intérieur afin de donner un parfum de transparence à l’activité des
lobbyistes dans leur enceinte. Depuis le mois de septembre 2009 à la chambre des députés et à partir de janvier 2010 au Sénat, les lobbyistes auront ainsi à s’inscrire sur un registre
obligatoire, porter un badge et respecter un code de déontologie qui ne prévoit toutefois aucune sanction en cas de manquement…
Début décembre, le registre des représentants des groupes d’intérêts de l’Assemblée nationale comprend une trentaine de noms. Uniquement des représentants d’organisations ou syndicats
professionnels, aucune agence de lobbying proprement dite. Celles-ci devraient apparaître au début de l’année prochaine.
Echec du registre européen
La France fait toutefois un peu mieux que la Commission européenne, qui invite depuis juin 2008, les lobbyistes à s’inscrire sur un registre non obligatoire. La Coalition Alter-EU (160 ONG et
syndicats) constate « l’échec du volontariat » puisque sur les 2600 structures domiciliées à Bruxelles, à peine plus de 500 ont décidé de montrer patte blanche. « Aux
Etats-Unis, le lobbying est strictement encadré par une loi fédérale qui organise la transparence et instaure des sanctions pénales, constate Florent Schaeffer. Des banques de données publiques,
accessibles sur le Web détaillent pour qui [les lobbyistes] travaillent, avec quels moyens, qui ils rencontrent... Quand on en demande le 10e en France, on nous traite
d’extrémistes. »
Le LobbyPlanet Paris décrit par ailleurs les conflits d’intérêts fréquemment observés entre secteur public et privé : « Sylvain Naulin vient d’être recruté par le CEEV (Comité européen des entreprises de Vins), un lobby pro qui mélange vin blanc et vin rouge pour faire du rosé. Quelques mois auparavant, Sylvain Naulin était membre du cabinet du ministre de l’Agriculture... chargé de négocier la reconnaissance législative de ce procédé ». Ce phénomène, appelé « pantouflage » (un salarié d’une entreprise trouve un poste dans l’administration de tutelle) ou « rétro-pantouflage » (mouvement de la fonction publique vers le privé) va au-delà du copinage pour organiser, sur le long terme, la garantie des intérêts privés de grandes entreprises au sein des organes de décision publique. Malgré l’existence de loi réglementant la rapidité de telles évolutions professionnelles, notamment dans l’industrie pharmaceutique, les cas se multiplient.
*LobbyPlanet Paris, 5 €, éd. AITEC, nov. 2009. Bon de commande sur www.lobbyplanetparis.fr
Philippe Chibani-Jacquot
Mis en ligne le : 01/12/2009
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