Quand la mobilisation collective transforme une décision politique
Une large mobilisation (manifestations, pétitions) avait suivi l’annonce de cette diminution de crédits. Grâce à cet élan militant le gouvernement a revu ses projets. Il faut préciser que les mesures initialement prévues par la loi de finances publiques de 2009 auraient causé la fermeture de plus d’un tiers de centres du planning. Comment, dès lors, faire de la prévention si les relais de terrain disparaissent ? Finalement, Brice Hortefeux conclu, le 4 février 2009, un protocole d’engagement avec le Mouvement Français pour le Planning Familial (MFPF). Il garantit le maintien des crédits aux actions du conseil conjugal et familial pour les années 2009 à 2011. Le 11 mars 2009, ce protocole était signé par Brice Hortefeux et la ministre de la santé Roselyne Bachelot, et la présidente du MFPF. Ce sont 3,5 millions d'euros que l’État consacrera pour ces trois années à ces institutions, dont 2,6 pour le seul planning familial.
Cet accord marque-t-il pour autant la fin des menaces pesant sur le droit à l'avortement ?
De nouvelles difficultés apparaissent en raison du mouvement de restructuration des centres IVG autonomes et des unités fonctionnelles d’IVG au sein des hôpitaux. L’Assistance Publique - Hôpitaux de Paris a programmé la fermeture de plusieurs centres IVG, et leur fusion avec les services de gynécologie obstétrique. L'AP-HP suit en cela une logique de rentabilité, au même titre que le secteur privé qui abandonne également cette activité.
À l'origine de ces évolutions, on trouve la combinaison du plan Hôpital de 2007 (tarification à l’activité, ou T2A) et la loi « Hôpital, Patient, Santé, Territoire » (HPST) du 21 juillet 2009. En effet, la T2A est un mode de financement qui vise à fonder l’allocation des ressources aux établissements de santé publiques et privés sur la nature et le volume de l’activité réalisée. Cette loi crée des effets pervers car elle incite les centres hospitaliers à multiplier les actes de soins ou à se concentrer sur les activités les plus rentables. Ceci est renforcé par la loi HPST, qui augmente le pouvoir des agences régionales de santé (ARS) et des directions d'établissement, au détriment des personnels médicaux. De là découle la remise en cause du droit à l’avortement, l’IVG n’étant pas une pratique rentable, et la T2A ne prenant en compte ni la prévention ni les conseils dispensés par le praticien.
Une des images fortes témoignant de l’abandon progressif, depuis trois ans et demi, par les pouvoirs publics des CIVG, est la fermeture le 23 décembre 2008 du centre de planification de Marseille. Celle-ci révèle bien un manque chronique de moyens, la raison invoquée étant l'insalubrité des locaux.
Des mesures qui cachent des objectifs idéologiques.
Qu’est-ce que le droit à l’avortement ? Ce n’est pas seulement la possibilité de se faire avorter mais surtout le droit d’avoir accès à cette pratique : la limitation de l’accès, quels qu'en soient les motifs, entraîne forcément une limitation du droit. Ce droit suppose également que toute femme enceinte à la possibilité de choisir en toute liberté de mener ou non à terme sa grossesse. Aussi, il importe de permettre aux femmes d’avorter dans des conditions décentes.À partir de la réflexion proposée par la sociologue Evelyne Serverin1, on peut s’interroger brièvement sur la limitation, peu à peu, de ce droit. Mme Serverin considère ce changement comme un ajustement mettant en adéquation des pratiques et des structures sociales. Il semble dès lors que les pouvoirs publics tentent, par la modification des structures sociales (capacité des centres) de changer la pratique (avortement). Pense-t-on qu’en limitant l’accès à l’IVG, il y en aura moins ? Les jeunes filles non concernées deviendront-elles plus responsables à la vue de leurs camarades en détresse ?
Les faits donnent tort à cette politique. Le plus souvent, une femme qui veut avorter le fera quel que soit le risque encouru : limiter l’accès à l’avortement n'est pas un moyen de réduire le nombre d’avortements, mais entraîne des individus à mettre leurs vies en danger. En comparant le nombre d’avortements en 1976 (0,66 par femme) avec celui de 2002 (0,51 par femme) on constate qu’il n’y a pas eu une baisse du phénomène depuis la légalisation2. Plus récemment, le passage du délai de 10 semaines à 12 semaines en 2001 n'a pas influé significativement sur le nombre d'avortements, demeuré stable à 0,51 par femme de 1999 à 2001. Rappelons qu’en 1975, la loi Veil, suspendait partiellement l’article 317 du Code Pénal pour 5 ans, et autorisait l’avortement sous certaines conditions. Et c’est le 31 décembre 1979 (loi n°79-1204) que le Parlement adopta une nouvelle loi sur l’IVG, confirmant celle de 1975 et supprimant certaines entraves à la pratique de l’IVG. En cela, la légalisation de l’avortement a d’abord été une question de santé publique, permettant une chute spectaculaire des complications et de morts évitables.
Le gouvernement et sa politique budgétaire ne sont pas les seuls responsables de ce recul progressif. Déjà dès 1999, un rapport, réalisé à la demande de Martine Aubry, ministre de l’emploi et de la solidarité, épinglait le comportement de certains personnels de santé dans les hôpitaux face à l’IVG3. Se posait en premier lieu, la question de la neutralité du médecin face à une patiente, et de certaines attitudes moralisantes ou culpabilisatrices. Ensuite, certains médecins refusent de pratiquer cette intervention quand la patiente a déjà avorté auparavant. Enfin, on assistait déjà à la marginalisation de l’IVG, considérée par les médecins comme une activité subalterne, et souvent abandonnée à de jeunes vacataires n'ayant pas l’engagement de leurs aînés. Le docteur Martin Winckler exprime ainsi régulièrement ses inquiétudes quant aux réticences croissantes de certains médecins à pratiquer l’IVG. D’après lui, elles répondent à une logique économique et idéologique : la législation sur l'IVG est aujourd'hui « tout au plus une tolérance, et non un droit »4.
Quelques inquiétudes sur l’accès à la contraception
La récente polémique concernant le « pass-contraception », initiative du Conseil régional de Poitou-Charentes, et l'opposition du ministre de l’éducation, Luc Chatel, semble indiquer que le terrain des attaques s'élargit, alors même que ce projet, lancé sous l'impulsion de la présidente de la région, Ségolène Royal, constitue un début de réponse au problème des grossesses précoces chez les mineurs. Ce kit, distribuable par les infirmières scolaires, donne un accès gratuit à une visite chez un médecin généraliste ou un gynécologue librement choisi, à des analyses médicales, et, sur prescription, à un traitement contraceptif de trois mois retiré en pharmacie, et renouvelable une fois. Il s’agit de rendre, l’accès aux moyens contraceptifs et à une information donnée par des personnels de santé, plus facile. L’objectif est également de pallier le manque de centres de planification en zone rurale. Pourtant, le ministre estime que ce serait « se substituer au Planning familial, seul autorisé à prescrire des contraceptifs à un enfant mineur ». Or, le projet a été mis en place en coordination avec le Planning Familial« Nous avons affaire à des élèves mineures. L'autorité parentale est quelque chose qui compte », a également déclaré Luc Chatel. Ces considérations moralisatrices, sonnent le désengagement de l’État en matière de prévention et d’éducation chez les plus jeunes. Elles ignorent aussi de nombreuses jeunes filles en situation de rupture familiale, ou qui craignent une réaction violente de leurs parents ? M. Chatel a ajouté à cela que « dans chaque lycée existe un conseil d'éducation à la santé et à la citoyenneté qui, avec [les] personnels de santé de l'éducation nationale, apporte des conseils aux élèves en matière de sexualité ». Cela suffit-il réellement ? On rappelle que, le nombre d’IVG a augmenté de 38 % chez les jeunes filles de 15 à 19, ans entre 2004 et 20065.
En somme, la multiplication des attaques contre les droits à l’avortement, à la contraception, à la libre disposition par les femmes de leurs corps, loin de faire évoluer des comportements sur lesquels les responsables politiques n'ont pas prise, n'aura qu'une conséquence : l'accroissement des inégalités d’accès aux soins médicaux, composante fondamentale de la protection de la santé.
Notes :
(1) Évelyne Serverin, « De l’avortement à l’interruption volontaire de grossesse : l’histoire d’une requalification sociale », Déviances et Société, 1980, Volume 4, numéro 1, pp.1-17
(2) Clémentine Rossier et Claudine Pirus, « Évolution du nombre d’interruptions de grossesse en France entre 1976 et 2002 », Population, 62 (1), INED, 2007, pp. 57-90
(3) Israël Nisand, L'IVG en France. Propositions pour diminuer les difficultés que rencontrent les femmes, rapport, février 1999
(4) Martin Winckler, « Que "vaut" une IVG ? », 8 février 2008
(5) Annick Vilain, « Les interruptions volontaires de grossesse en 2004 », Études et résultats, n° 522, Drees, septembre 2006