Premières pages d'un roman terriblement angoissant, atrocement effrayant, extraordinairement épouvan... Bon enfin j'exagère un peu !
C’est par hasard que Pal Eidmundsson devînt un assassin.
Rien ne le prédisposait à tuer ses semblables.
D’abord, il exécrait la violence. Non pas qu’il fût épris de morale protestante ou que son éthique personnelle l’ait conduit vers une passion débordante pour la vie d’autrui, mais la violence le dégoûtait. Toute forme de violence et quelle qu’en fut l’objet. Homme ou animal. Un dégoût profond, viscéral, qui lui interdisait jusqu’à la représentation mentale d’une scène de crime. Cette aversion offrait assez peu d’occasions de satisfaire, dans l’épanouissement le plus complet, une inclination d’égorgeur.
Son existence ensuite, qu’il avait souhaitée calme, solitaire, presque en marge de la société, coïncidait peu avec les prises de risques inutiles et dangereuses qu’eurent impliquées ces tueries sanguinolentes.
Installé à Kopavogur, dans la périphérie de Reykjavik, il menait une vie insipide d’agent de parcmètre, dont il mesurait pleinement le manque d’attrait, mais qui lui évitait le plus souvent tout contact avec son prochain, ce dont il était ravi.
Il avait emménagé dans la petite maison de sa mère, décédée deux ans plus tôt et dont il avait hérité, sans rien modifier. Ni la disposition des meubles, ni la décoration, ni les objets amassés au fil des ans. Une habitation de plain-pied en tôle ondulée, avec une façade blanche et un toit vert, d’une cinquantaine de mètres carrés, composée d’une chambre, d’un grand salon et d’une cuisine minuscule. Il y passait peu de temps, préférant marcher aussi souvent qu’il en avait l’occasion, mais s’y réfugiait pour s’isoler du monde.
Pal Eidmundsson ne parlait à ses voisins que pour les saluer lorsqu’il les croisait, sans pour autant que cette économie d’échanges fut jamais perçue comme une marque d’indifférence ou de suffisance. Comme ses compatriotes, Pal ne s’exprimait que lorsqu’il le fallait. Les seules personnes avec lesquelles il lui arrivait de converser, les jours de fête, ou les dimanches, résidaient à quelques dizaines de mètres de sa maison. Une famille avec laquelle sa mère était en contact depuis leur installation, trois ans plus tôt. Téna et Olaf, les deux enfants du couple, se rendaient parfois chez la vieille dame pour l’écouter jouer du piano ou leur raconter des histoires d’Elfes ; personnages mystérieux qu'elle disait avoir rencontrés quand elle était enfant. Christelle, la mère, d’origine Française, ne goûtait qu’assez peu ses contes et légendes, qui, disait-elle, donnaient des cauchemars à son fils et à sa fille, mais elle laissait faire, autant par compassion pour l’existence solitaire de sa voisine, que par respect des croyances locales. Pal n’aimait pas cette étrangère qui n’avait pas le courage d’agir selon ses opinions. Après tout, personne ne l’avait obligé à autoriser ses enfants à écouter comment un jeune Troll s’était un jour introduit dans une salle de classe en se faisant passer pour un cousin de la famille. L’interdiction eut été respectée, et même comprise, sans que cela n’eût créé de contentieux. Mais bien davantage que cette lâcheté par omission, il détestait la façon dont elle le regardait quand il arrivait qu’ils se rencontrent dans un supermarché ou dans le centre-ville. Cette manière de le fixer intensément le troublait ; c’était comme si elle avait décelé chez lui une facette de sa personnalité qu’il ignorait lui-même.
Pal Eidmundsson était grand et massif, sans être corpulent. Il avait un front rectangulaire, si haut et si large qu’on eut dit un écran plasma reposant sur d’épais sourcils ambrés. Ses yeux avaient la forme de deux gouttes étirées et horizontales, renfermant deux pupilles d’un bleu clair, quasi cristallin, qui rendait son regard indéchiffrable, voire un peu inquiétant. Le nez long et droit pointait vers un menton anguleux et légèrement recourbé, tel un cap, fermement accroché à une longue et proéminente mâchoire inférieure, qu’une mince barbe blonde de quelques jours tapissait élégamment. Avec son bonnet en laine rivé sur le crâne, son blue-jean noir et sa veste de quart bleue marine, Pal ressemblait à un pêcheur de morues. Et à dire vrai, son allure d’aventurier quadragénaire et mystérieux ne manquait jamais de faire naître les sourires aguicheurs des jeunes femmes qui le croisaient. Une attirance qu’il n’exploitait pourtant pas, préférant recourir aux charmes experts des vendeuses d’amour chronométré de Reykjavik. Une solution qui, bien qu’onéreuse, lui évitait des dialogues préliminaires insipides, souvent trop longs à son goût, et toujours hypocrites. Il n’était ni sentimental, ni romantique, il n’avait jamais été amoureux et ne s’intéressait aux femmes que pour leur aptitude à satisfaire ses montées de testostérone. N’ayant aucune intention de se faire piéger par l’une de ces donzelles obnubilées par la procréation et la fondation d’une famille, il n’entrait pas dans ses ambitions de se lancer dans une relation qu’il souhaitait exclusivement sexuelle et dont il savait qu’elle n’aurait duré que le temps d’un spasme orgasmique.
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