Après nos dernières péripéties
énervées, ces trois derniers jours à Boavista sont beaucoup plus calmes. Nikko
récupère de son crash, vasouillard pendant deux jours avec une côté félée qui
le fait souffrir et n’est jamais aussi bien qu’à bouquiner dans le bateau. Pas
très actif non plus, je traînasse entre parties d’echecs, cocas au windsurf bar
de François et l’internet café pour mes rendez-vous skype avec les kids. Je me
laisse malgré tout entrainer par des copains dans une tournée des grands ducs
nocturne ou je perds portable, coupe circuit du hors bord et le kilo de
calamars frais que j’avais pourtant traîné avec moi toute la soirée, y compris
dans la discoteca. Bref. Le swell a repris et fait le bonheur des surfeurs,
kiteurs et autres planchistes tandis que pour nous, il rend le mouillage
particulièrement inconfortable. Les lames inquiétantes déferlent juste devant
nous, ainsi que derrière sur le banc des anglais et à proximité de l’ile de Sal
Rei qui boucle le nord de la baie. Il est temps de décoller pour Sao Nicolau, à
quelques 100 milles à l’ouest.
Avec un bon 20 nœuds portant, Nous
quittons Boavisata avec le crépuscule. Nikko se réjouit de l’allure soutenue de
Galapiat, 7-8 nœuds sans forcer au grand largue malgré une coque sale. Vers 3h
du mat il me réveille car le feu vert que j’avais aperçu au loin dans mon sud
quelques heures plus tôt se retrouve bord à bord avec nous. Commence une course
amicale de nuit qui ne s’achevera que 4 heures plus tard par un ex-aequo,
pioche posée presque en même temps. Le concurrent est une grosse bête de 56
pieds et je suis heureux de lui avoir tenu la dragée haute. Nous nous reposons
tranquillement après un superbe déjeuner concoté par Nikko et retrouvons les
bateaux habituels, copains surtout et quelques fâcheux aussi pour la dernière
fois sans doute car, tous sans exception feront ensuite cap à l’ouest, Mindelo puis
les Antilles, tandis que nous rebrousserons chemin pour faire nos adieux au Cap
Vert à Palmeira, once again. Tarafal ne nous plait que modérément. Gris et sans
ambiance, le village s’anime cependant le soir quand, par deux fois nous nous
régalons de sessions musicales live dans la rue ou dans un bar qui revisitent
des standards cap verdiens jazzifiés. Sylvain au saxo soprano, Sylvie à
l’accordéon accompagnent des virtuoses du village qui donnent le la avec
guitare et violon. Magnifique. Douche froide le premier soir quand même lorsque
je retrouve l’annexe massacrée par six coups de couteaux vicieux et le moteur savamment
saboté. Journée réparation le lendemain et grosse envie de retrouver le petit
plaisantin qui s’est amusé à ça, histoire de lui claquer six fois aussi la face
contre le quai, histoire de voir si il présente un état similaire à celui du dinghy.
Je n’aurais malheureusement pas ce plaisir. Le coupable reste introuvable. Ça n’arrive
jamais parait-il et je me serais bien passé d’être l’exception à la règle.
Sao Nicolau vaut surtout pour
l’intérieur de l’île. Montagneuse et verte, elle offre des panoramas
vertigineux. Nous en profitons pour faire fonctionner nos jambes, bien rouillées
car peu sollicités par la vie en mer. Par un chemin de muletier, nous nous
enfonçons dans une vallée qui rejoint Villa Brava, le chef lieu de l’île, petit
bourg coloré et vivant. Nous prenons tout notre temps, attentifs aux
perspectives et aux bruits de la vallée. Les quelques maisons accrochées à
flanc de colline et noyées de vert qui jalonent le chemin me font immédiatement
penser au Macondo de Garcia Marquez. Les générations qui s’y succèdent, la présence
du surnaturel y est palpable comme en atteste ce char effrayant et fascinant dédié
au Carnaval, qui désormais prend racine dans la végétation avec laquelle il se
confond.
Ni Nikko ni moi ne souhaitons
nous attarder longtemps à Tarafal. Dernière étape à Carracal, petit village
côtier ravitaillé par les corbeaux (quand il en passe). Petite journée à lambiner,
remettre aux villageois les tirages des photos de Grégoire, passé là quelques
jours plus tôt, puis dîner d’une quatchupa, le plat populaire cap verdien, dans
la cuisine de la maison des jeunes avec les cuisinières attentionnées tandis
que les hommes s’excitent sur un match de foot portuguo-portuguais. zéro-zéro.
Décidément, je ne comprendrai jamais l’effervesence que génère ce sport. Le
seul européen présent à part Nikko et moi est un psychologue allemand qui vit
dans ce bled six mois par an. Il écrit des bouquins et se spécialise dans les
relations de couple. Voilà un sujet qui m’intéresse, particulièrement en ce
moment. Je lui demande si il a une théorie, une thèse particulière sur le
sujet. « Tous les cas sont singuliers » me répond-t-il très
sérieusement. Merci. Pas besoin d’être psy pour pondre des platitudes pareilles.
J’ai un bon cas si ça l’intéresse. Nous partons sous la pleine lune pour Sal.
Du près serré tout le temps et environ 120 milles en comptant les bords.
Palmeira est atteinte en fin d’après midi. Dimanche, jour de fête du village et
la perspective des fameuses brochettes, paradis des affamés après une journée
de mer. Nous nous en tenons là d’ailleurs car l’électricité est coupée et le
village revient sort les bougies. Ambiance fantasmagorique entre bougies et
clair de lune. Nous n’irons donc pas danser au Capricorne. Tous nos amis ou
presque sont partis ou rentrés temporairement en France. Nous sommes fatigués
et rentrons nous coucher sagement en sentant confusément que notre session cap
verdienne tire à sa fin après près d’un mois. D’ici deux ou trois jours
maximum, direction Dakar.
Souvent, je me contente de vivre
intensément le présent, sans regarder derrière moi et sans planifier outre
mesure l’avenir, mais parfois aussi, je me demande où je vais. Le Yi King que
j’interroge un soir est plutôt encourageant et me répond par « Grand
apprivoisé » : Ténacité profitable. Se nourrir hors du clan,
ouverture. Profitable de passer le grand
fleuve
On ne ne peut guère être plus
explicite. Au passage, Nikko, sidéré par la pertinence de la réponse – Pas
encore traversé - à sa propre question en devient aussi un grand adepte…