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"Le maître d'école primaire Franco.B., qui depuis l'âge de vingt ans, donc pendant plus de trente ans, avait vécu dans la plus stricte observance d'un régime rigoureusement végétarien, régime qui excluait de la façon la plus absolue non seulement la consommation de tout type de viande-y compris le poisson-, mais aussi de tout produit d'origine animale tels le lait, le beurre les oeufs et cetera, ce qui prévoyait en outre la production personnelle de la quantité de végétaux nécessaires à son maintien et à celui de sa famille, sa femme et son fils,
mourut brusquement par une chaude après-midi de juillet. Il était dans son champ, accroupi pour observer de près un plan de soja lorsque soudain il se redressa, se tourna vers sa femme qui sortait de la maison juste à ce moment-là, porta une main à sa poitrine et sans émettre un son s'effondra par terre.
Cette mort subite et sans explication apparente fit beaucoup de bruit dans la ville entière, où tout le monde connaissait le maître d'école Franco B.
Moins de bruit et de surprise cependant que la lecture, sur le journal de V. des résultats de l'autopsie de la dépouille, menée par l'insigne pathologiste et professeur Roberto T., qui révéla l'existence de lésions artéroscléreuses impressionnantes, dépôts d'urates dans les articulations, dans les reins et dans la l'anthélix de l'oreille droite, attribuant la cause de la mort à un infarctus massif du ventricule gauche par occlusion aigüe de l'artère coronaire gauche
Jamais personne n'aurait pu s'attendre à une telle mort de sa part; jamais, au grand jamais, personne en ville n'aurait pu imaginer que justement lui, le maître d'école primaire Franco B., puisse mourir d'un infarctus.
Justement lui, disait-on en ville, qui n'avait jamais fumé de sa vie, qui mangeait seulement et exclusivement des végétaux et qui était tellement méfiant que les légumes et autres, il les cultivait personnellement, parce que, disait-il, ceux qu'on achète au marchand de légumes dieu sel sait quelle dose poison ils contiennent.
Justement lui, disait-on en ville, qui faisait lui-même ses conserves avec tout et n'importe quoi; poivrons aubergines asperges choux et choux de Bruxelles, qui ne buvait pas, ne trompait pas sa femme et menait une vie parfaitement rangée.
Dans les bars, les fumeurs se mirent à fumer avec plus de goût, de toute façon, disaient-ils, on finit quand même par mourir un jour, qu'on fume ou pas. tu as vu comment l'instit est mort. Les buveurs continuèrent à boire avec encore plus de conviction, tandis que les mangeurs de viande rouge se sentirent inexplicablement plus légers.
En somme, la mort par infarctus du maître semblait avoir soulagé tous les vicieux de la ville. En revanche, elle porta un coup extrêmement dur à tous les végétariens non-buveurs non-fumeurs, qui ne purent s'empêcher de voir dans sa mort par infarctus une trahison impardonnable. S'il était mort d'une tumeur aux poumons, aurait dit l'un de ses amis végétariens, ça aurait pu se justifier, mais un infarctus! Justement lui qui faisait un jogging tous les jours avec sa femme et son fils, pendant au moins une heure, qui avait même construit un sauna finlandais de ses propres mains et cultivait lui-même tous ses végétaux...
Environ un an après cer événement, la femme du maître d'école primaire Franco. B. se remaria avec un directeur d'école primaire-non végétarien- lequel décida sans l'ombre d'une hésitation, en accord avec sa femme, d'éliminer le champ pour y construire une belle piscine.
Au cours des travaux, une fosse commune remontant à la seconde guerre mondiale fut exhumée, avec les restes de plus de trente cadavres.
Interrogé à ce sujet, le professeur Roberto T., dont les déclarations parurent sur le journal de V. dit qu'à son avis la découverte de la fosse commune précisément dans le champ ou le maître d'école primaire Franco B. avait cultivé pendant des années ses végétaux ne devait absolument pas être mis en relation avec l'état désastreux de ses artères, et qu'elle n'avait donc rien à voir avec la mort par infarctus du dit maître."
"Végétaux" extrait de- "Bic et autres shorts"- de Vitaliano Trevisan-Editions Verdier-