Sortir de la crise / par Alain Sueur

Publié le 23 novembre 2009 par Alains

L’appropriation privée du capital reste le seul système qui ait réussi à sortir l’humanité du régime de subsistance - pour l’Occident dès le  moyen-âge, pour les pays émergents dès les années 1980. Aucun système alternatif (servage, féodalité, socialisme, jacobinisme d’Etat, social-interventionnisme) n’a réussi aussi bien. Il n’en reste pas moins que tout système laissé à lui-même dérive ; la technique peut devenir folle si elle n’est pas conduite. Il existe un autre « ordre » pour contrôler ses effets. Il s’agit de la politique, ce qui concerne le projet et les compromis dans la cité. Or, la politique des prochaines années sera difficile !

La logique des choses reste la suivante : toute croissance se fonde sur le crédit, c’est toute la différence entre prendre un risque pour innover et se contenter de gérer l’immobilisme. La gestion du risque s’appelle « spéculation », pari sur l’avenir ; c’est à ce niveau que des modèles de simulation mathématiques sont volontiers utilisés. Mais les récentes techniques de l’information et de la communication rendent instantanés et réflexifs tout mouvement dans un sens ou dans l’autre. On y voit la propension très humaine à l’imitation et au panurgisme. Amplifié par la technique, ce comportement est redoutable. L’autorégulation du système trouve très vite ses limites lorsque la technique permet de gagner beaucoup d’argent en peu de temps.

Tant que roule le vélo, la logique positive s’autoalimente ; dès que le vélo roule sur un clou, il crève et le cycliste tombe. La logique du système s’est inversée aussi naturellement qu’à la hausse. C’est ce qui est arrivé en août 2007 à American Home Mortgage, l’une des principales sociétés indépendantes de crédit immobilier : les prix baissent et les crédits à risque (subprimes) deviennent des faillites individuelles. En septembre 2008, la banque Lehman-Brothers est acculée à la faillite, durant la période de transition politique entre Républicains et Démocrates aux Etats-Unis, précipitant le monde financier dans la panique. Une fois établie, la panique est difficile à enrayer. Tout a baissé, la bourse, l’immobilier, les emprunts ; nous avons assisté à une déflation des actifs généralisée. Cela au profit des espèces en coffre, des liquidités en bons du Trésor d’Etats solvables et de l’or. Tout ce petit monde des anticipateurs a réajusté ses positions, coupé les risques devenus au sens propre « incalculables ». Il n’y a que de l’offre et aucune demande.

Les Etats ont joué sur toute la panoplie pour briser l’engrenage :
• Baisse des taux
• Concertation internationale élargie entre Etats (G20) et entre banques centrales
• Dollar qui file pour favoriser les exportations (et yuan collé à parité)
• Relance budgétaire (baisse d’impôts, incitations fiscales à investir, hausse des prestations sociales, prime automobile à la casse)
• Refinancement des banques nationales par les banques centrales pour assurer la liquidité en dernier ressort entre banques
• Soutien d’Etat ou nationalisation d’établissements financiers en difficulté
• Dépense publique d’investissements

Mais il faut du temps pour compter les cadavres et restaurer le crédit. Plus grave, c’est tout un système hédoniste qui s’est trouvé brutalement remis en cause. Il était fondé sur l’endettement facile, l’énergie pas chère, le levier incontrôlé, la sophistication sans mesure des produits financiers, la rationalité des élites shootées aux mathématiques qui méprisent les hommes.

Les conséquences directes sont déjà là :
• Déclin net de l’empire américain, matérialisé par la chute relative du dollar, la remise en cause des gros 4×4 suceurs d’essence et renouveau du multilatéralisme diplomatique.
• Emergence accélérée de la Chine, de l’Inde et du Brésil. Revendications d’exister de l’Iran, de la Turquie, de la Syrie, de l’Equateur… G20 au lieu de G8.
• Irruption dans le capital des plus grandes sociétés occidentales des fonds souverains du Golfe, de Chine et d’ailleurs ; prises de participation directes d’entreprises et de banques par les pays émergents dans les pays développés.
• Envol de la rente des pays à ressources naturelles (Golfe, Russie, Venezuela, Nigeria, Algérie, etc.)
• Course aux matières premières dans le monde, notamment de la part de la Chine et notamment en Afrique, avec déstabilisations sociales et guerres qui vont avec.
• Laminage de la classe moyenne occidentale prise entre dépenses obligatoires et impôts en hausse, en même temps que salaires et emplois sont en baisse.

La mondialisation ne sera pas heureuse. Il y aura déclin du rationalisme occidental, retour de l’identitaire, du religieux, de l’égoïsme nationaliste, d’un certain protectionnisme économique. Il y aura particulière remise en cause du « modèle » français trop rigide (dont on voit la faillite avec les suicides au travail). Comment allons-nous nous dépêtrer de la croissance molle, du faible investissement qui préfère les pays à meilleure croissance, des déficits publics, des déséquilibres croissants des régimes de retraite et de santé ? Il nous faut croire au nouveau modèle de croissance durable et d’investissement vert. Mais il reste à inventer.

La question est surtout : qui va payer ? La génération actuelle, vieillissante, peu employée (surtout en France après 50 ans) et qui voit le financement de sa retraite fondre petit à petit tandis qu’augmente peu à peu celui de sa santé et des dépenses contraintes (essence et fioul, loyers) ? Les générations futures, moins nombreuses, ayant du mal à trouver leur premier emploi et prêtes à s’expatrier pour échapper aux castes hexagonales et aux relations de travail exécrables en France ? L’Etat s’endette et cherche à faire sortir la richesse privée des bas de laine, cela suffira-t-il ? Peut-on croire à l’initiative d’Etat en économie ?

Il faudra beaucoup d’habileté politique pour définir un nouveau modèle imaginé et à peu près accepté par tous. Et sans doute un nouveau dynamisme dont on ne voit guère quelles sont les troupes prêtes à l’assumer.