Magazine Humeur
Interdire les listes ''anti-sionistes'' de Dieudonné ? Voilà encore une de ces fabuleuses idées qui jouent, dans notre système, le rôle de paravents à tout mistral authentiquement démocratique... Le pouvoir politique, le médiatisme, à sa suite - plus ou moins volontaire - cherchent avec un talent certain à fixer l'inessentiel, l'accidentel, pour mieux laisser dans la pénombre structurelle nos véritables problèmes. Le cas Dieudonné est exemplaire. Disons-le d'emblée : Il n'a en réalité aucune importance. Et c'est de le monter en épingle, ce cas, que se nourrit en vérité la continuation du système.
I- Le cas Dieudonné.
Qu'il soit bien entendu que le personnage et ses idées sont à mes yeux médiocres, condamnables. Je vois un comique douteux, dont la dérive psychologique et professionnelle a pour scène la provocation de plus en plus affirmée, entre guise de martyr, désir d'exister, et relents antisémites, relents qui n'apparaîtront paradoxaux qu'à ceux, vierges naïves, qui imaginaient qu'il était impossible à un homme dont la peau est noire, à son tour, de haïr...
Coluche, en son temps, avait à peu près son programme présidentiel. Tout au plus Dieudonné, dans ses moments les meilleurs, croit-il y trouver son modèle. A ceci près qu'il doit se livrer à un exercice assez infâme, dans notre structure médiatique, pour obtenir un effet de ce genre. C'est que les temps ont déjà changé... Il faut frapper fort, à l'arme nucléaire, contre tout bon sens, pour obtenir sa scène médiatique.
Dieudonné est évidemment sans intérêt pour la pensée. Le conflit palestinien mérite une approche pacifique et bilatérale, tout simplement. Dieudonné est aussi subtil que ceux qui identifient la croix gammée à l'étoile de David. Ce qui est pour le moins le comble de la bêtise et de la monstruosité.
Je dis cela en désirant au pire une Palestine autonome. Je veux dire : au mieux un espace où israéliens et palestiniens pourraient cohabiter comme nordistes et sudistes en France...
II- Interdire Dieudonné.
Voilà donc l'idée. Interdire l'infâme.
Mais de qui se moque-t-on ? Croit-on sérieusement que les problèmes induits par le fonctionnement des démocraties actuelles tournent autour de quelques rares listes ''anti-sionistes'' pour les élections européennes. Ici, la propension de Dieudonné à faire parler de lui rejoint paradoxalement les intérêts du système gouvernant, et l'on assiste à cet étrange spectacle où le provocateur sert, plus ou moins inconsciemment, les finalités d'un tel système – ce qui suffira, au passage, à prouver qu'un changement radical des règles du jeu ne s'obtiendra pas simplement par aboiements furieux de chien enragé ou médiatique, et qu'il nous faudra autre chose, une autre méthode.
L'époque n'est plus coluchienne... Les choses changent vite...
Il est très facile, en aïkido, aux dames, aux échecs ou en politique, de renverser les forces. C'est là ce qui se passe. Dieudonné sert (au-delà de son ego) les intérêts du système. Il est ce point de fixation qui nous fera oublier le vrai scandale, et qui ne consiste pas en ceci qu'un comique brouille les pistes (entre politique et spectacle, négritude et judaïsme, etc.)
Il est bien utile, dès lors, Dieudonné, comme repoussoir, et garantie, a contrario, de la Beauté Absolue d'un système Démocratique qui ne l'accepterait point, ce Monstre indigène qui a dépassé les frontières et les limites.
On ne nous montre la frontière de l'acceptable et de l'inacceptable - l'affaire Dieudonné sera sans nul effet sur l'avenir politique de notre peuple, qu'il présente ou non ses listes - que pour mieux nous faire oublier l'essentiel : la pure vacuité de notre système démocratique, son indigence, son archaïsme, sa totale incapacité à prendre en compte la réalité même, la puissance directe.
Vous pouvez bien aller dire NON à l'Europe libérale. Le parlement se chargera de dire OUI. Les clefs ne sont donc pas celles des masses, dès le départ.
En ce sens, l'affaire Dieudonné est l'épouvantail des pigeons que nous sommes - juifs, musulmans, chrétiens, ou athées.
Non, croyez-moi, là n'est pas l'essentiel... Ce rideau de fumée que l'on aimerait nous ferait croire sidéral.
III- Les problèmes d'une Démocratie Virtuelle.
La Démocratie Virtuelle, c'est pour moi le système de l'isoloir rendu accessible de temps à autre, semblable en cela au Pardon religieux, ou à quelque manifestation transcendante. Je sais bien qu'on entend souvent par ''Démocratie Virtuelle'' les possibilités nouvelles de la communication internet, celles que nous utilisons, à l'instant. Mais il faudrait d'abord remettre les choses en place. La ''Démocratie Virtuelle'', c'est surtout ce système archaïque qui vous rend attentifs, tous les cinq ans, à la différence entre La Madonne Ségolène et Le Speedy Gonzales de l'efficacité. La question Dieudonné est tout simplement un élément de propagande qui participe de la continuation de ce système, vous invitant à placer la limite à l'intérieur même de ce cirque. Détestez donc Dieudonné, l'impossible, pour accepter le reste... En somme, une Tête-de-Noir-Antisémite est aussi pratique qu'une Tête-de-Turc.
III- Extrême Gauche, extrême Droite.
On s'en prendra à ces quelques considérations en disant qu'elles légitiment ou minimisent d'une manière ou d'une autre les agissements maléfiques de Dieudonné. Nous l'avons dit, cependant : Dieudonné est sans intérêt. Son spectacle est nauséabond. Ce n'est pas notre problème. Mais la récupération de Dieudonné par le système est le symptôme provisoire de nos errances structurelles, de la main-mise du virtuel politique sur le réel, de la manière dont la propagande opiacée se fait volutes inconscients en nos esprits.
En tout cela, ce qui se joue c'est la confusion entretenue entre l'extrême droite (dont Dieudonné est un produit paradoxal, le ''bon noir'' du FN, comme les nazis avaient leur ''bon juif'') et la soi-disant ''extrême-gauche''.
En dernier lieu, la stigmatisation des extrêmes sert toujours, aussi, à discréditer la soi-disant ''extrême-gauche'', terme que, d'ailleurs, je n'aime pas - sans croire pour autant que parler de ''gauche radicale'' suffira à régler, au vocable près, le problème.
Ici, bien entendu, la pente est glissante. ''Les extrêmes se rejoignent'', ''les intégrismes s'entendent'', etc. Nous entendons sans cesse tout cela.
A la limite : Besancenot = Le Pen = Hitler = Staline, etc.
Il faudra vraiment rompre avec ce genre de stupidité. Il faudra pouvoir affirmer une pensée de gauche ''radicale'' sans immédiatement être identifié, au cercle près, à l'extrême droite. Il faudra réaffirmer la différence fondamentale entre la gauche radicale et l'extrême-droite, sans se laisser d'emblée encercler par le qualificatif purement médiatique : « z'êtes extrémistes, vous. »
Ce qui nous manque le plus, en effet, c'est de retrouver le sens radical...