Notre Patrica Kass à Nous, la Mademoiselle qui, jadis, aimait le rouge ne l'aura donc point emporté. Elle peut retourner à ses cubis qui tâchent et à ses disques de platine... La plus belle chanson européenne est cette année norvégienne... Vous l'ignoriez, cette absolue vérité démocratique, ignorants que vous êtes ?
Un concours, en boucle, de l'Eurovision peut certainement être un supplice qu'on n'oserait pas même infliger aux ex de Guantanamo. Il faut aimer les nains de jardins, par dessus tout, pour désirer entendre cela. Ou avoir quelque conception de caterpillar sur la manière dont il faut jouer les fugues de Bach...
Et cependant c'est cela même la démocratie...
Alexander Rybak eut son plébiscite. Il est vrai qu'il y avait pire...
Il y a plusieurs manières, bien entendu, de prendre cet événement sans intérêt. La ritournelle traditionnelle, d'année en année, le caractère sportif ou d'émulation nationale, et même le second degré persifleur forment des raisons suffisantes d'assister à un tel spectacle. On y revient comme à ces choses qui nous ont accompagnés depuis notre plus tendre enfance, qui ont toujours existé ; ou bien mus par un désir franchouillard de triompher ; ou même pour le plaisir de se moquer du caractère affligeant du spectacle proposé. Trois bonnes raisons qui suffisent à maintenir en vie l'institution « Eurovision ».
Le spectacle que l'on a pu voir est cependant politique. Voilà ce que l'on peut retirer, en réalité, d'un tel non-événement. Voilà même ce qu'il faut en retirer. Regarder l'Eurovision doit au moins permettre à chacun de nous, en sourdine, de comprendre que c'est cela, malheureusement, la politique des démocraties virtuelles ; tandis que la distribution des points s'effectuait, le spectateur un peu détaché ne pouvait manquer de voir en tout cela la réalisation du carnaval démocratique.
Ce n'était pas grave, étant de pur divertissement...
Le propos n'est nullement, ici, une esthétique des chansonnettes proposées. Même si, soit dit en passant, le programme a manifesté une victoire supra-nationale, grandement partagée, du mauvais goût.
Non, il s'agirait de saisir le rapport entre un tel spectacle et le modèle électoral des démocraties contemporaines. Il s'agit de se demander doublement ce qu'est la démocratie.
Il y a donc des prestations, des spectacles ; et puis des votes.
Doublement :
1.Vous assistez à un spectacle.
2.Vous choisissez.
Si l'on laisse de côté les spécificités du concours de l'Eurovision, qui pourra dire, par exemple, que les élections européennes à venir sont d'une essence radicalement différente ?
Un spectacle vous est donné... Vous aurez le choix de supporter Dieudonné, l'UMP ou le PS... Et puis il y aura un vainqueur... Ayez bon goût !
Où l'on voit le double problème : nous allons consommer un spectacle et nous appellerons ''démocratie'' le résultat sportif et mathématique de cette consommation. Et nous serons bien contents d'avoir vu une fois de plus triompher la « démocratie », cette forme pure qui ne préjuge pas encore de la valeur de son contenu.
Par-là, rien ne sera produit, sinon des représentations élues, dont il ne sera pas dit qu'elles valent mieux que le choix d'une chansonnette de l'Eurovision.
Seul l'esprit naïf dira que ''non, décidément, c'est différent, parce qu'il est question d'idées politiques, et non de chansonnettes.'' C'est une production, et une consommation, au même titre que l'affligeant spectacle de l'Eurovision. Il n'est pas question d'idées politiques. Nous savons, en effet, que la plupart de ces idées sont de pures images et d'opinion.
Qui pourra, exactement, décrire le programme des partis qui se présentent, passé le couplet de l'impression immédiate qu'ils chantonnent ?
Je ne dis pas, pour autant, qu'il faut refuser la démocratie. Je dis seulement que nous ne savons qu'au travers d'une société du spectacle, comme disait Debord, ce que cela veut dire, et que cependant nous y croyons : « c'est beau, c'est bien, c'est grand, c'est vrai, c'est gagnant, c'est la démocratie. »
Cela prouve que nous devons réformer notre compréhension du mot ''démocratie''. Et que cela ne se fera qu'à la condition de changer de... spectacle. D'en sortir, du spectacle. Lorsque la politique ne sera plus un spectacle, alors les élections Européennes ne seront plus l'Eurovision... En attendant, ça continuera à chanter faux, et à voter selon l'oreille plus ou moins consciente, ou bouchée...
La politique vaut mieux que l'élection d'une chansonnette, mais elle en épouse les structures... Jusqu'à nouvel ordre...
Eh bien chantez, maintenant...