Une fois n’est pas coutume, Robert Guédiguian quitte le Vieux Port de Marseille pour Paris, le temps d’un film. "L’armée du crime" raconte comment une poignée d’immigrés juifs luttent tous les jours, n’ayant rien à perdre sauf leur famille. Il s’agit d’un réseau de résistants ayant réellement existé, le célèbre groupe Manouchian des FTP-MOI (Francs-tireurs et partisans – Main d’œuvre immigrée), dont les membres étaient espagnols, hongrois, polonais, italiens, roumains, arméniens ou même français, et pour la plupart communistes. Vingt-deux d’entre eux furent fusillés en février 1944, ce qui offrit aux nazis un excellent moyen de propagande contre la Résistance, à travers des individus qui "prétendaient" libérer la France alors qu’ils étaient "étrangers, juifs et terroristes". [Dans la réalité ce fut l’effet contraire qui se produisit, les innombrables affiches qui envahirent Paris apportèrent surtout des soutiens à la Résistance].
On suit donc, durant deux heures vingt de pellicule, les actions, la vie et les différents rapports entre ces résistants et également entre eux et leurs proches. Jusqu’ici, on a donc un film très respectable sur un thème difficile, rare au cinéma et souvent oublié par l’Histoire ; un film réalisé de plus par un ancien militant au PC, ouvrier d’origine germano-arménienne, connu pour décrire dans ses films un univers social où les gens sont liés par des idées politiques. Autrement dit, un thème idéal pour Robert Guédiguian. Seulement, si le réalisateur ne s’est pas trompé de sujet, c’est le sujet qui s’est trompé de réalisateur. En effet, on risque fort de passer à côté d’un tel sujet lorsqu’on a surtout fait des films militants où il ne se passe en général pas grand-chose.
Car c’est une très bonne idée de parler des communistes (et des étrangers) dans la Résistance, surtout quand on est personnellement concerné par le sujet – mais à condition de ne pas oublier de parler de la Résistance elle-même et pas uniquement des communistes. Certes, Guédiguian parle aussi de la Résistance. Mais c’est dans sa façon de présenter les choses qu’il n’atteint pas son but : il insiste trop sur la vie de chaque personnage ; sur la vie d’un groupe en dehors du monde extérieur, comme s’il combattait pour lui-même et lui seul ; sur des rapports humains dans un couple, entre deux frères, dans un autre couple. Des rapports qui ne sont pas inintéressants, c’est vrai, mais qui selon moi n’ont rien à faire dans un film sur des résistants, et de façon générale, quand on va voir un film sur une période historique, on s’attend à voir une description historique, pas uniquement la psychologie typique liée à la fraternité communiste.
Mais ici, non, et c’est dommage. On ne saura rien sur la genèse du groupe : la guerre d’Espagne et autres évènements qui les ont fait se battre avant de se réfugier en France, le Front populaire ou le pacte germano-soviétique. Tout ce à quoi on aura droit c’est une rapide scène où on voit un vendeur de journaux crier "Hitler a envahi la Russie !" (un épisode essentiel puisque c’est ce qui poussera les communistes à entrer dans la Résistance, mais Guédiguian n’en parle presque pas, or ce devrait être la base même du film non ?). On ne saura pas grand-chose non plus sur le rôle des communistes dans la Résistance. Au final on sortira du cinéma en n’ayant quasiment rien appris.
Pour en venir au film proprement dit, il a ses qualités, il a ses défauts. Les acteurs jouent bien. La mise en scène est très bien. Le film n’est absolument pas mauvais, loin de là. Malheureusement, deux heures vingt quand il n’y a pas beaucoup de rythme, c’est très long, et ça signifie essayer de comprendre qui est qui et qui fait quoi. Une fois qu’on y est arrivé, on se rend compte qu’il y a trop de personnages, auxquels on aura du mal à s’identifier, sauf à Marcel Rayman parce qu’il a plus de caractère que les autres. Ensuite, on ne se rend jamais compte que le film s’étend de 1941 à 1944 (ou de 1940 à 1944 ?), d’autant plus que Guédiguian a volontairement modifié la chronologie des faits. Enfin, très inspiré par ses propres origines, il semble en oublier les autres nationalités, ce qui aurait pourtant permis à une bonne partie des spectateurs de se sentir concernés eux aussi.
En résumé, c’est triste de le dire, mais ce film n’est pas indispensable, surtout si on n’est pas un inconditionnel de Guédiguian. Cependant c’est un avis purement personnel, et si vous voulez y aller allez-y, il a d’ailleurs ce grand mérite d’avoir traité ce sujet. Sinon allez à la Cinémathèque voir "L’Affiche rouge" de Cassenti … vous en apprendrez sûrement plus en moins de temps.