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La redoutable force des symboles

Publié le 30 novembre 2009 par Samiahurst @samiahurst
La redoutable force des symbolesD'abord les chiffres. Selon le site swissinfo, 57.7% des Suisses ont accepté l'initiative anti-minarets. Seuls trois cantons et demi l'ont refusée: Bâle-Ville, Genève (le plus fort taux avec 59.7% de non, merci à tous mes voisins au bout du lac!), Vaud, et Neuchâtel.
Maintenant les commentaires. La stupeur est générale. Je suis bien sûr déçue, vous vous en doutiez. Mais en fait cela va plus loin que ça. Je sais que les lecteurs de ce blog ne sont pas tous en Suisse, alors si vous êtes ailleurs je vous avertis que je m'apprête à briser un des tabou de ma culture.
Voilà (on prend bien son souffle): le peuple s'est trompé.
Ça y est, je l'ai dit. Et ce n'est pas une chose que l'on dit ici à la légère. Mais cela arrive, il faut en prendre acte. La population suisse avait d'ailleurs également refusé le droit de vote aux femmes en 1959, après tout. Bon, à l'époque, il s'agissait bien sûr de la population masculine. Là aussi il faut prendre acte: ajouter les femmes ne rend pas infaillible.
Interdire les minarets est une erreur. Si cette décision reflète en effet des craintes qui doivent être prises au sérieux, que vont y changer des règles architecturales? Ces craintes seraient mieux abordées par une intégration plus grande, au contraire. La seule lecture optimiste de cette votation, c'est qu'elle reflète finalement la lenteur (ou la modestie?) des progrès dont sont capables les humains. Lorsque la logique de 'eux et nous' nous saisit, il est très difficile d'y résister. Les catholiques du canton de Vaud ont après tout dû attendre 1935 pour pouvoir mettre des clochers à leurs églises...
Mais ça, c'était avant la ratification par la Suisse de la Déclaration universelle des droits de l'homme, dont l'article 18 précise que 'Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu'en privé, par l'enseignement, les pratiques, le culte et l'accomplissement des rites.'
Selon Amnesty International, ce texte rend l'interdiction des minarets en Suisse inapplicable. La Cour européenne des droits de l'homme devrait semble-t-il, si on le lui demandait, l'annuler. Reste à savoir si l'affaire arrivera jusque là, et qui l'y porterait. Mais ce serait ici l'occasion pour les représentants de la communauté musulmane d'Europe de jouer pleinement le jeu juridique européen de l'état de droit, et d'aller se faire donner raison contre la Suisse devant le tribunal des droits humains. Pour les auteurs de l'initiative, qui ont largement argumenté devant les médias la soit-disant incapacité de l'islam à reconnaître ces règles du jeu, ce serait là un magistral auto-goal. Certains signes sont d'ailleurs déjà là. Les auteurs de l'initiative se sont attaqués à un symbole pour pouvoir se défendre d'avoir attaqué la substance. Mais bien sûr, dans toute cette histoire des rapports entre religion et politique dans un état laïque, les symboles sont la substance.
Ah oui, peut-être le saviez-vous: le Conseil des droits de l'homme des Nations Unies a depuis quelques années une rapporteuse spéciale sur la liberté de religion ou de conviction, chargée entre autres mandats de: 'poursuivre les efforts qu’elle consacre à l’examen des incidents et des mesures gouvernementales qui sont incompatibles avec les dispositions de la Déclaration sur l’élimination de toutes les formes d’intolérance et de discrimination fondées sur la religion ou la conviction, et à recommander les mesures à prendre pour y remédier, selon qu’il conviendra ;'
La Rapporteuse actuelle, Me Asma Jahangir, est une avocate citoyenne du Pakistan, titulaire d'un doctorat honoris causa de l'Université de St-Gall. Et bien sûr ce Conseil siège à Genève.
C'est sûr, notre petit coup de gueule de ce week-end va se voir.
Au fond, peut-être que tout ça finira bien après tout. Peut-être ce vote suisse va-t-il permettre à la communauté musulmane d'Europe de faire, en portant l'affaire au tribunal, un bel exemple. Les voilà après tout dans la rare situation de pouvoir parler la voix de la raison à deux formes d'extrémisme en même temps. A certains Européens inquiets, dire que l'islam peut être compatible avec les droits humains et qu'il en respecte parfois mieux les règles que ces populismes qui les réclament un peu rapidement comme une exclusivité culturelle bien à eux. Aux tenants d'un virage des droits humains vers une plus grande intégration de la charia, dire que la Déclaration des droits de l'homme protège les droits des communautés musulmanes d'Europe.
Peut-être que tout ça finira bien après tout, oui. Mais pas pour nous: dans ce scénario, si vous me passez l'expression, on va se payer carrément la honte. Et c'est là finalement l'avantage de la démocratie directe: on l'aura entièrement méritée.

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