A l'aube des années 2000, dire du monde qu'il était divisé en deux sphères était monnaie courante. Ceux qui creusaient contre ceux qui portaient le flingue, ceux qui dansaient contre ceux qui gobaient l'anxiolytique ; le divertissement était un combat, ne restait qu'à choisir son camp.
Au milieu des nineties, labels et indépendants crevaient la gueule ouverte, imprimant des T-Shirts sans trop y croire, multipliant les P(a)in's comme une identité singulière, et si la musique était déjà un mouroir, bien peu auraient misé sur Cobain dans une publicité pour Ronald. Aujourd'hui, fin des années 00, venez comme vous êtes: The XX passe en boucle sur M6, Julian Casablancas revisite la Macarena, la niche est devenu un modèle marketing, les meilleurs se battent pour un restant de poussière. C'est le récit de notre aventure moderne : Ne plus croire en rien, porter des jeans slims, ne plus fumer, tapoter trois touches sur un clavier USB, parler music-business pour éviter de parler des groupes. La fin des religions, promis... c'est pour bientôt.
Paris. Hôtel Amour, octobre 2009. Gildas Loaec, directeur artistique de Kitsuné, est assis face à moi. Soixante dix centimètres environ nous séparent comme le malaise l'un de l'autre lorsqu'on est voisins et que bruit des enfant d'à coté vous empêche de dormir. Après dix ans de collaboration avec les Daft Punk, Gildas a co-fondé Kitsuné avec Masaya, une marque témoin qui depuis a fait des petits et des envieux. April 77, Zadig & Voltaire, tous ont lancé leur département musique pour surfer sur une vaguelette commerciale dont il est encore difficile de dire si l'écume résistera au coup de chaud des ventes qui fondent comme neige au soleil : « A nos débuts (vers 2003, NDR), associer les disques à une marque était très mal vu. Aujourd'hui, parce que le marché est plus dur, l'échine est plus souple, et les marques ont aujourd'hui bien compris que la musique était fédératrice, pour rester proche du public. Par rapport au prix d'une campagne, c'est peut être aussi moins cher. Ma vision des choses, c'est que le marché du disque chute tous les jours, ce n'est plus une opération rentable. Et le disque, c'est d'abord un métier, un réseau, une distribution. Pour toutes ces marques, je dis donc : « A voir, mais attention.... ». Pendant ce temps, Empire of the sun illustre des publicités pour Ebay, les années 2000 sont passées très vite, Kitsuné a façonné un son. Sans le vouloir même, peut-être.
La musique, c'est comme la mode, ca va, ca vient, entre tes reins.
La différence avec les autres décennies, selon Gildas, ce sont les loops raccourcies (comme les jeans), les modes rallongées (comme les cheveux) et quelques phénomènes qui resteront : « On trouve toujours suffisamment de fans pour faire perdurer une mode, entretenir un genre. Je suis convaincu que certains gamins resteront toujours nu-rave ». En attendant la libéralisation des AK47, faisons la fête ; je reprendrai bien un café.
Dans la vie, y a ceux qui partent et ceux qui reviennent, toi, tu rentres ou tu sors ?
« Ca revient là », ça n'est même jamais vraiment parti. Le concept de nouveautés, de compilations clichées, c'est plus qu'un concept, c'est une marque de fabrique. Tous y sont passés, de Bloc Party aux Teennagers en passant par Gossip. « Chez Kitsuné, on est dans un registre d'incubation, sur nos compilations on présente les nouveaux groupes, nos coups de cœur. Indirectement, on se met aussi en compétition avec des blogs qui font cela tous les jours. Qu'est ce qu'on pourrait mettre en avant qu'un blog n'ait pas déjà fait ? Si tu prends Siriusmo, c'est un producteur d'électro underground qui vit à Hambourg, de façon un peu cachée, culte pour ceux qui le connaissent, mais pas facile à attraper. Faire une compilation, c'est beaucoup de travail, beaucoup de plaisir ». Ne pas fier qu'aux apparences, l'ambition de Kitsuné n'est pas la niche, c'est surtout le mainstream (qui n'est plus une insulte, dans un monde de niches) et les radios anglaises. "Good vibrations", le concept, encore une fois n'est pas nouveau. On laisse à d'autres le soin de d'épancher sur le nouveau business de la musique qui réussit grâce au placement produit et autres croisement mode/marque. Plus qu'une innovation, c'est déjà une réalité. « Pour une marque comme nous, qui vient de la mode, seule la longévité permet de devenir puis rester crédible. Au départ, les gens pensent que c'est une blague, qu'on surfe sur une tendance. Moi, je pense que j'ai le meilleur label de disque au monde, c'est important de penser ça, même si c'est faux. ». En rock comme en mode, l'avenir appartient à ceux qui portent bien le costume, l'étiquette, elle, reste toujours cachée.
En tapant les dernières lignes de cet article, la fatigue aidant, j'ai senti le chlore dans mes narines, le parfum aseptisé des plages en plastique. Souvenir de ces après-midi en bassin, bonnet vissé, à croire qu'on verrait la mer à travers le carton-pâte. Chez Kitsuné comme ailleurs, le monde se divise encore en deux catégories : ceux qui y croient, et ceux qui écrivent des articles.
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