Les murs en sont couverts, de ces petits objets précieux, chacun enchâssé dans un cadre blanc, dans deux formats différents, formant une composition murale que l’on hésitera à déconstruire, chacun unique, non reproductible, du fait d’une technique rare (”prise de vue directe, exposition sur du papier Ilfochrome dans une chambre de grand format”, la chambre étant donc au format de l’image, et le procédé faisant l’économie du négatif). Aux antipodes de la photographie documentaire ou plasticienne, ce sont donc des objets précieux, uniques, rares et leur départ (vente, don ou destruction) sera comme une saignée, une blessure au flanc de cet accrochage qu’on pourrait déjà voir en lui-même comme une oeuvre, construite et cohérente (il paraît que les accrochages de Deborah Turbeville sont aussi des oeuvres en soi), et qu’il faudra ensuite cicatriser, renouveler, recomposer. Et c’est l’objet lui-même qui est précieux, aboutissement d’un processus raffiné, bien plus que le sujet qu’il représente, somme toute assez banal, suffisamment ordinaire pour ne pas nous détourner du protocole suivi par l’artiste. D’ailleurs, fait assez rare en photographie, les titres, pour la plupart n’ont rien à dire; en haut vous pouvez voir C78, et ci-contre C99.
Cette rareté, cette préciosité sont-elles des tentatives - plus ou moins fructueuses - de retrouver l’aura, dissoute par la reproductibilité mécanique de la photographie, selon la
thèse bien connue de Benjamin ? Frappé par ce paysage vide et neutre, un ciel et une mer, je n’ai pu manquer de l’opposer à une image assez semblable mais au service d’une démarche tout à fait opposée, les ready-made appartiennent à tout le monde, quand Philippe Thomas travaillait sur la prolifération et l’appropriation de l’oeuvre (ainsi l’oeuvre était présentée sous le nom du collectionneur qui l’avait achetée, et non pas de l’artiste). Dans cet Autoportrait de groupe de 1985, où la mer (Sujet à discrétion) apparaît à l’arrière-plan, reconnaîtriez-vous quelques figures connues de l’art contemporain franco-belgo-suisse ?Benoît Vollmer, qui expose donc ces petits bijoux précieux sous le titre “Liminaire” à la galerie Paul Frèches jusqu’au 30 janvier, y montre aussi un film crépusculaire dans des paysages forestiers vides, comme une autre tentative d’épuiser le sujet, de se concentrer sur l’objet cinématographique ou photographique.