Au hasard des salles du Louvre, d’abord une petite ‘intervention’ de Michel Paysant sur les Antiquités Orientales (jusqu’au 1er mars). Paysant transforme les échelles, il miniaturise plans et objets, en faisant des nano-objets dont on veut bien croire qu’ils sont là, dans ce présentoir, sous ces lumières, mais sans microscope on ne voit rien. Il faut se reporter au tableau, avec tous ces noms qui chantent, Mari, Uruk et la maison ronde de Tepe Gaura. Partant de ce bronze du Louristan (Plaque de mors en forme de génie ailé et cornu, ou Taureau androcéphale ailé), qu’on peut voir un peu plus loin dans les salles, Paysant fait réaliser, à partir d’un dessin, une nano-image, reproduite ci-contre au microscope optique et électronique. Sommes-nous certains que l’image, la copie est bien là ? Faisons-nous confiance au conservateur de ce musée imaginaire de l’invisible ? L’ensemble baigne dans une musique de Pascal Doumange, Le souffle de Dieu.
Michel Paysant a aussi interprété un des plus petits objets des collections de glyptique, le sceau-cylindre d’Ibni-sharrun, datant de l’empire d’Akadé, vers 2200 avant JC. Là il a joué sur le gigantisme, sur l’agrandissement monstrueux pour un objet (ou plutôt pour l’empreinte d’un objet) qui était fait pour le minuscule, pour l’à peine visible, simple trace authentique sur un parchemin ou sur une brique d’argile. La sculpture, qui semble être un cénotaphe sous l’olivier, mesure 4 mètres alors que l’empreinte ne faisait que 8 centimètres. Les héros nus agenouillés qui abreuvent des buffles depuis un vase aux eaux jaillissantes sont maintenant à l’échelle humaine, stylisés et resplendissants dans la lumière.
La déception vient quand on veut aller admirer le sceau original : une petite étiquette informe qu’il est en prêt au High Museum d’Atlanta (vous savez, la “riche cité du Coca-Cola”, comme disent Jean Clair & Co). Faut-il pour autant aller signer une pétition de la Tribune de l’Art ? Ou bien se dire que Paysant nous offre avec cette utilisation de la haute technologie, avec ce jeu sur l’échelle et la démesure, sur l’original et la copie, un palliatif intéressant ?
Ailleurs, de l’autre côté, au Salon Carré, soudain, du coin de l’oeil, une impression étrange, détonante : oui, c’est bien un tableau de Pierre Soulages accroché ici, à côté de la Bataille de San Romano d’Uccello, un grand Soulages (Peinture 300 x 236) avec à droite des harmonies de noir et de blanc et à gauche de l’outrenoir. Placé face à une fenêtre (jusqu’au 18 janvier), il resplendit, et comme le dit le peintre, la lumière qui rejaillit de ces vibrations noires crée un espace devant le tableau, qu’on pourrait dire magique ou précieux ou spécial. Un peu sur notre droite, la Vierge en majesté (Maestà) de Cimabue resplendit de tous ces ors, peints à profusion dans le ciel au dessus de la Madonne. Et Soulages ajoute que, même si leurs deux tableaux sont tant différents, l’or de Cimabue, peint 730 ans plus tôt, lui aussi crée un espace magique devant la toile, un espace où le visiteur est baigné de cette lumière dorée qui rejaillit de la toile.
En poursuivant mon chemin, j’arrive à Umberto Eco, dont je parlerai demain.
Photos de l’auteur, excepté le sceau original et Cimabue. Pierre Soulages étant représenté par l’ADAGP, la photo de son tableau sera retirée du blog à la fin de l’exposition.