Rencontre avec Annie Martel, co-fondatrice du bistro et coopérative de travail In Vivo
Tous égaux chez In Vivo
Reflet de mon quartier est un hebdomadaire consacré à l’actualité et aux débats d’idées reliés à l’arrondissement montréalais d’Hochelaga-Maisonneuve.
Quand Annie Martel a cofondé avec sa sœur Karine le bistro et salle de spectacle In Vivo, en 2004 elle s’est sentie accueillie à bras ouverts par le milieu commercial de la rue Sainte-Catherine Est. Les deux jeunes femmes ont toutefois dû composer avec le scepticisme de plusieurs devant le type de gestion bien particulier qu’elles ont choisi: la coopérative de travailleurs. Cinq ans plus tard, elle vient de créer avec sa soeur, Gabrielle Moffett et Gaëtan Cirefice une toute nouvelle boutique et coopérative de travail, nommée Terre à soi. L’occasion pour Annie Martel de constater le chemin effectué par ce type d’entreprise encore méconnu… et celui qu’il reste à parcourir.
Propos recueillis par Ariane Aubin
Pourquoi avez-vous choisi la formule de la coopérative?
Dans une coopérative de travailleurs, comme le nom le dit, les membres sont ceux qui travaillent à la coop. Je vois deux avantages principaux à ce système. Premièrement, c’est très démocratique: un membre égal un vote, peu importe l’argent investi dans l’entreprise au départ. Lors de la prise de décision au niveau du conseil ou de l’assemblée des membres, tout le monde a le même poids, contrairement à une entreprise régulière où les plus riches dominent. Le deuxième avantage important, c’est que ce système implique plus les employés. Ils ne sont pas obligés de devenir membres, mais ont la possibilité de le devenir. Mais à partir du moment où tu deviens membre de la coopérative, ça t’appartient: c’est ton entreprise, tu peux t’impliquer davantage au niveau de l’organisation et de la prise de décision.
Cela crée des emplois de plus grande qualité et, fait intéressant, s’il y a des surplus à la fin de l’année ils sont distribués entre les membres en fonction des heures travaillées. Encore une fois, c’est le travail qui est mis de l’avant plutôt que le montant investi. C’est donc une motivation de plus à travailler fort, puisque normalement plus on s’investit, plus la coop va dégager des surplus et plus on en reçoit une part considérable.
Un autre avantage des coopératives est qu’elles ont un meilleur taux de pérennité qu’une entreprise régulière, c’est-à-dire qu’elles demeurent plus longtemps en activité. Admettons qu’après dix ans, ma sœur et moi n’avons plus envie de travailler au bistro; nous pouvons partir, parce qu’il reste des membres. L’entreprise peut survivre à ses propriétaires! C’est un beau mode de transmission qui est peu connu.
Comment avez-vous découvert ce type d’entreprise?
En lisant un document publié par le Réseau de la coopération du travail du Québec. Ce réseau organise régulièrement des séances d’information sur le sujet. Nous avons assisté à l’une d’entre elles et tout de suite, on s’est dit: «Wow, c’est ça qu’on veut, ça répond vraiment à nos besoins». Il faut quand même rencontrer certains critères: être au moins trois personnes et avoir un conseil d’administration, par exemple. Pour ce qui est du fonctionnement, le Réseau est là pour nous supporter. En fait, c’est devenu comme une famille où nous avons rencontré d’autres membres de coops.
Il existe d’autres coopératives de travail dans plusieurs domaines très variés, celui des bars-spectacle, par exemple. À Québec, il y a la Barberie, à Montréal, le Divan Orange… On communique beaucoup, sans faire d’échange de services directs. Au bistro, notre maillage est plutôt dans le quartier, auprès d’organismes à but non lucratif. Toutes nos publications écrites sont imprimées chez Imprim-emploi, nous faisons affaire avec Distribution l’Escalier pour notre nouvelle boutique Terre à soi, l’entreprise d’insertion sociale Nelligan fournit le café au bistro et à la boutique… Le quartier regorge de belles entreprises, il suffit de s’intégrer au réseau!
Vous avez aussi choisi la formule de la coopérative de travailleurs pour votre boutique Terre à Soi, pourquoi?
Ça s’est fait naturellement. C’est ce que nous connaissions déjà et comme nous le faisions bien, pourquoi changer? Malheureusement, c’est un mode de gestion qui est encore très peu connu. En 2004, quand nous avons suivi des cours avec le SAGE Montréal Métropolitain pour bâtir notre plan d’affaires, ça ne faisait même pas partie des options d’entreprises possibles! Et nous n’avons pas pu obtenir la bourse donnée par la Fondation du Maire de Montréal pour la jeunesse, simplement parce qu’une coopérative de travailleurs ne faisait pas partie des entreprises admissibles. Mais depuis, le Réseau a fait des recommandations et la bourse nous a été attribuée pour Terre à soi. Cinq ans après, il y a eu une belle évolution.
Nous sommes tout de même très présentes lorsqu’il s’agit de faire connaître les coopératives de travail. On nous invite souvent à parler de notre expérience, par exemple au Forum social québécois… Nous essayons de parler de notre quartier parce qu’on l’aime et que nous voulons qu’il se développe, que son image de quartier difficile s’améliore. Avec le Grand Débarras [NDLR: un événement familial, artistique et commercial qui se déroule depuis 3 ans en août sur la rue Sainte-Catherine Est], nous avons fait un pas dans la bonne direction. Depuis quelques temps, on travaille aussi à devenir un arrondissement équitable et pour une fois, on parle d’Hochelaga-Maisonneuve pour autre chose que les affaires plates. Et nous nous disons que plus cette image va changer, plus ça attirera de nouveaux commerçants dans le coin. Ces nouvelles entreprises attireront alors plus de clients et l’ambiance du quartier s’améliorera… C’est un cycle qui prend du temps et beaucoup d’efforts.