Critique initialement publiée le 23 octobre 2008
Fuck Them all ! Le ton est donné et l'affiche ne ment pas. Geirr vit dans un fauteuil roulant suite à un accident dont on ne se saura jamais rien. Son handicap l'a rendu aigri, en colère, y compris contre cette épouse bienveillante qui continue de l'aimer. Son mal être, Geirr l'exprime par son cynisme. Il trouve dans la musique de Johnny Cash et les films sur la guerre du Vietnam, auquel il s'identifie, un réel réconfort quand la vie l'agresse. A l'extrême opposé de la façon d'être de Geirr, Tori coach un groupe d'handicapés et leur enseigne la pensée positive pour surmonter leurs souffrances et leurs solitudes. La méthode phare consiste à murmurer ses colères dans un sac. Tori et son groupe viennent chercher Geirr, avec l'espoir de le convertir lui aussi à la pensée positive. Geirr n'est absolument pas disposé à se laisser embobiner par la méthode bien-pensante de Tori et s'engage dans une confrontation brutale qui ne sera pas sans effet thérapeutique.
Les films mettant en scène le handicap sont rares, sans doute car le sujet peut sembler assez peu porteur. La société est telle qu'il y a beaucoup d'hypocrisie dans la relation qu'entretiennent souvent les valides avec les handicapés. Ces derniers en seraient presque les freaks des temps modernes. C'est ce rejet, cet ostracisme dont nous valides somment souvent coupables qui nourrit la colère de Geirr. Sa colère est légitime même si elle ne fait que la marginaliser davantage.
Sur un ton très caustique, souvent provocateur (L'art de la pensée négative est une comédie noire, très noire même), Bard Breien met en scène - dans le huit clos de la maison de Geirr - les multiples confrontations qui vont découler de la rencontre en Geirr et les cobayes de Tori. La confrontation la plus évidente tient aux méthodes. Geirr jette le sac des mauvaises pensées par terre et s'ingénie à opposer son art de la pensée négative bien personnel. L'attitude de Geirr choque dans un premier temps, car il rejette l'aide qu'on lui propose. Elle choque surtout parce que Geirr exprime ses rancunes sans la moindre délicatesse et paraît de fait particulièrement mauvais. Geirr par son attitude révèle pourtant tout autre chose : valide ou pas, tout le monde est malheureux. Derrière les sourires figés des uns, se dissimulent bien sûr des fissures que Geirr, lui, exprime sans pudeur. Le groupe débat donc avec Geirr pour évaluer du degré de détresse des uns et des autres, dans le but de faire comprendre à Geirr qu'il n'est pas forcément le plus malheureux. La scène représente un moment de bascule important. On rit beaucoup tant cette confrontation là relève en fait de l'absurde. Elle révèle pourtant les personnages.
En écho à cette scène, Geirr fait rejouer le jeu de la roulette russe de Voyage au bout de l'enfer. C'est évidemmment là que chacun réalise que malgré sa détresse il tient à la vie. Entre temps, d'autres discensions sont apparues. L'hypocrisie de certains valides est levée, les tensions de couples se révèlent. Surtout, l'art très abrupte de la pensée négative telle que l'enseigne Geirr montre les personnages pour ce qu'ils sont. Chacun semble enfin s'assumer.
L'art de la pensée négative est un film assez curieux mais mérite véritablement la peine que l'on s'y intéresse. Le film de Bard Beien , jeune réalisateur norvégien dont il s'agit du premier long-métrage, est à rapprocher du Festen de Thomas Vintenberg : un même esprit Dogme, un propos très noir, un huis clos d'où surgissent une brutalité et une conscience des choses. Ce qui différencie les deux films, c'est sans aucun doute cet humour très noir, très caustique dont le personnage de Geirr est le principal artisan. On peut rire de tout, c'est connu, et pour ceux qui se poseraient la question, oui on peut rire des luttes intrinsèques de ce film. Car le film n'est pas fatalement nihiliste. L'horizon finit par se dégager un peu, le message est porté, les personnages trouvent enfin leur dignité.
Benoît Thevenin
Film Annonce - L'Art de la Pensée Négative
envoyé par LittleStoneDistribution
L'Art de la pensée négative - Note pour ce film :
Avec Fridtjov Såheim, Kjersti Holmen, Henrik Mestad, ...
Année de production : 2006
Sortie française le 26 novembre 2008