(Valery Larbaud)
La vie d’un collège au début du siècle passé, les us et coutumes de ses pensionnaires, des noms tombés en désuétude : le préfet des études, le répétiteur, la classe de rhétorique, le correspondant des internes, voilà où nous entraîne Valery Larbaud (1881-1957) avec son roman « Fermina Márquez ».
« Souvenir, souvenir, que me veux-tu ? » s’interrogeait Paul Verlaine.
Comment des souvenirs scolaires peuvent-ils se transfigurer soudain à la simple évocation d’une apparition un jour qui aurait dû être un jour ordinaire? Mais cette apparition dans un collège cosmopolite - la majorité des élèves sont des “Américains” (en fait des Sud-Américains, à l’époque on ne fait guère la différence) - d’une jeune beauté de dix-sept ans d’origine colombienne et au regard éclatant : « Les yeux de Fermina Márquez, où resplendissait le soleil des Tropiques », écrit Larbaud, va bouleverser l’ordonnancement habituel de Saint-Augustin, un établissement confessionnel comme son nom le laisse à deviner.
Fermina est là avec sa sœur cadette, leur tante (la mère est décédée) veille au grain ; toutes les trois soutiennent le jeune frère dans sa nouvelle vie studieuse près de Paris, car les plus âgés parmi les élèves sont cruels à l’endroit des pequeños. C’est ainsi, à l’occasion de promenades quotidiennes dans le parc de la vénérable institution, que va se former autour de Fermina une escorte de soupirants, rivaux les uns des autres : “les chevaliers de Fermina Márquez”, un véritable phénomène de cour (et pas seulement de récréation).
Qui sont les prétendants? D’abord, Santos qui a sa petite réputation, il est coutumier d’escapades nocturnes à Montmartre où il fréquente les milieux de la bohême artistique et du demi-monde. Ensuite, Joanny Léniot, un fort en thème, il rafle tous les premiers prix, un beau parleur también, c’est lui qui a été désigné pour faire le discours en latin à l’archevêque. Enfin, Camille Moûtier, plus jeune, plus tendre, mais qu’espérer à treize ans? Pour les moins chanceux, il existe quand même un lot de consolation en la personne d’Encarnacion, la plus jolie des petites Cubaines élèves du collège …
Mais comme ils sont naïfs, naïfs et lucides à la fois, nos prétendants :
« C’était notre erreur à vingt ans, de croire que nous connaissions la vie et les femmes. On ne connaîtra jamais ni la vie ni les femmes, il n’y a, partout, que des objets d’étonnement et une suite ininterrompue de miracles. »
Le plus calculateur, Joanny Léniot, a bâti avec méthode ce qu’il appelle “un plan de séduction”. Il rêve à la belle : « Ça, et le prix d’excellence, quelle belle fin d’année scolaire! … » Fermina, la pobrecita! réduite à ce “Ça”, l’équivalent d’un vulgaire trophée. Hélas! Il aurait dû en rester là, il ne sait pas que le meilleur moyen d’échouer dans les tentatives d’obtenir une bonne fortune c’est de tomber amoureux! La belle sud-américaine du reste ne comprend rien aux Français :
« Vous autres Français, vous êtes tellement incompréhensibles : vous passez de la gaieté à la tristesse si facilement. On ne peut jamais deviner les motifs de vos actions. Á mon avis vous êtes les plus étrangers de tous les étrangers. »
Et en plus elle est dévote, Fermina, ses élans la poussent vers le spirituel plutôt que vers le charnel, alors qui pourrait obtenir le droit de susurrer à son oreille : « por favor dame un beso »?
Je ne dévoilerai pas ici l’épilogue de ce roman qui fleure bon son parfum suranné, rassurez-vous quand même : « Nous survivons à nos sentiments comme nous survivons aux saisons », écrit Larbaud, mais je vous invite à vous immiscer dans l’univers de Saint-Augustin, de ses pensionnaires des Amériques et de la sublime Fermina pour qui les cœurs battirent trop fort le temps d’une saison scolaire.
Univers bien précaire : à peine quelques années plus tard la guerre dévasterait aussi cette génération et ce petit monde-là.
Post-scriptum :
Dans le numéro de la « Nouvelle Revue Française » d’octobre 1957 : Hommage à Valery Larbaud, Roger Judrin explique les sources autobiographiques du roman, dans le collège d’enfance de Larbaud, Fermina s’appelait Mercédès