La recherche publique contrôlée par l’industrie?

Publié le 30 novembre 2009 par Suzanneb

Apparence de conflits d’intérêts ? au moins aussi apparent que le nez dans le visage.

Une récente nomination au conseil d’administration des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) aurait toutes les apparences d’un conflit d’intérêt. Dans un article publié le 19 novembre dans le quotidien «Le Devoir» on fait valoir les arguments de diverses parties: politiques, scientifiques, autorités sanitaires, organismes indépendants… ainsi que ceux de l’IRSC (par courriel, signé par le responsable des communications au nom du président)… Je vous laisse apprécier les conclusions un peu plus loin dans cette page.

Performance

Toutefois, je souligne un point que n’a pas relevé Pauline Gravel dans son article, il s’agit de «La piètre performance du Canada…» (tenez-vous bien) quant au nombre de brevets déposés qui aboutissent ensuite en des produits commerciaux.  L’idée de performance associée à la mise en marché de produits commerciaux revêt une importance capitale. Laissez-moi vous expliquer. 

Historiquement, les divers «bureaux» ayant eu pour mandat de contrôler l’efficacité des médicaments ont toujours eu tendance à considérer l’Industrie comme le client, alors qu’en fait le client c’est le public, si on se réfère à la Loi sur les aliments et les drogues, adoptée par le Parlement canadien au nom du public. Pour bien servir son «client», Santé-Canada a «choisi» au fil des ans, divers sous-ministres, directeurs etc… des gestionnaires efficaces et aimés de l’industrie, plutôt que des scientifiques compétents. Des professionnels de carrière à qui on reprochait d’être «trop sévères quant à l’approbation des présentations de nouveaux produits qui leur étaient soumises», ont été contraints d’abandonner leurs postes à la faveur de «gestionnaires plus favorables à l’industrie». [1]

Par exemple: sous le règne d’Alec Morrison, (sous-ministre adjoint, DGPS, 1971 – 1984) la vente de produits pharmaceutiques – pour consommation humaine et animale – a connu une croissance fulgurante au Canada, sans réel bénéfice ni pour l’économie ni pour la santé des individus. De nouveaux produits furent approuvés sur la base de toutes sortes de fausses affirmations quant à la protection de la santé. [2]

L’industrie se plaint de «dossiers en suspens» alors qu’elle provoque intentionnellement des délais et, par la suite, elle demande à ses avocats d’expédier des lettres parce que le médicament est en attente depuis trop longtemps, réclamant l’approbation du médicament (sans fournir les données requises) C’est ainsi que bon nombre de produits ont été approuvés. [3]

Heureusement, des sonneurs d’alarme comme Shiv Chopra ont amené sur la place publique ces faits troublants qui ont suscité l’indignation de la population. Ce que nous connaissons des méthodes d’approbation des médicaments relève déjà de l’acte de foi. Que le canada ne fasse pas bonne figure en terme de «produits médicaux mis sur le marché» ne me fait pas de peine, ça me fait plutôt plaisir. Mais pourtant, cela n’a pas l’air de plaire au docteur Quirion qui déplore cette mauvaise performance. 

Une fois de plus, on démontre que le client, c’est l’Industrie. Et si l’industrie croit qu’elle ne vient pas à bout de mettre assez de produits sur le marché, elle se fait nommer un représentant à l’IRSC et le tour est joué ! Tout ça, en pleine face du public, comme pour cette merveilleuse table ronde d’industriels «la Chaire sur l’adhésion aux traitements» mise sur pied grâce à l’octroi de deux millions de dollars pour cinq ans d’AstraZeneca Canada, de Merck Frosst Canada, de Pfizer Canada, de sanofi-aventis…  

Faites-vous plaisir… lisez !

Le Devoir – Pauline Gravel 19 novembre 2009 – La recherche publique contrôlée par l’industrie?

Les critiques fusent depuis qu’un vice-président de Pfizer a été nommé au conseil d’administration des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC). La recherche publique en santé au Canada serait-elle en voie d’être contrôlée par l’industrie? Pour plusieurs, cette nomination a du moins toutes les apparences d’un conflit d’intérêts.

La porte-parole du NPD en matière de santé, Judy Wasylycia-Leis, a déposé une motion au comité permanent de la santé de la Chambre des communes dans laquelle elle exhorte la ministre de la Santé de renverser la nomination du Dr Bernard Prigent, vice-président et directeur médical de Pfizer Canada, au conseil d’administration des IRSC, compte tenu du fait que «cette nomination risque de permettre à des intérêts commerciaux d’influencer directement les choix d’investissements de la recherche publique en santé au Canada».

Le conseil d’administration des IRSC — principal organisme de financement de la recherche en santé au Canada — est composé de 20 Canadiens représentant divers milieux et disciplines qui sont nommés par décret par le cabinet fédéral pour des mandats renouvelables de trois ans. À titre de membre du conseil des IRSC, «le Dr Prigent ne décidera pas des chercheurs et des projets à financer. Ces décisions sont la responsabilité du conseil scientifique, qui se fonde sur l’avis de comités d’examen par les pairs individuels», nous a précisé par courriel le responsable des communications des IRSC, David Coulombe, au nom du président, le Dr Alain Beaudet, qui n’a pas eu le temps de nous rappeler.

«Bien que le conseil n’intervienne pas dans le choix des projets individuels qui recevront un financement, il définit néanmoins les orientations stratégiques, les buts et les politiques, et il approuve le budget. Ce n’est donc pas un lieu pour un représentant d’une compagnie pharmaceutique à but lucratif dont les priorités ne sont pas toujours compatibles avec celles des IRSC, qui ont des intérêts de santé publique», rétorque le Dr Joel Lexchin, qui enseigne les politiques de santé à l’Université York de Toronto. Pour le Dr Lexchin, cette nomination reflète clairement les priorités du gouvernement conservateur en matière de financement de la recherche en santé. À ses yeux, un tel partenariat avec l’industrie «risque d’orienter davantage les politiques des IRSC vers le financement de projets qui se solderont par la mise au point de produits commerciaux, tels que des médicaments, des tests permettant de diagnostiquer des maladies et des dispositifs médicaux». «De tels projets sont très pertinents, mais il y a de nombreux autres projets qui le sont aussi, mais qui n’aboutissent pas à des produits commerciaux, comme ceux portant sur la prévention et qui visent, par exemple, à démontrer que l’exercice physique peut aider à traiter la dépression», déclare-t-il.

Le Dr Lexchin croit aussi qu’il s’agit d’un très mauvais moment pour les IRSC d’inviter un géant de l’industrie pharmaceutique à venir l’aider à planifier ses orientations stratégiques alors qu’on vient de confier aux IRSC la direction du nouveau Réseau sur l’innocuité et l’efficacité des médicaments, qui a le mandat de mener des recherches visant à accroître nos connaissances sur l’innocuité et l’efficacité des médicaments qui sont sur le marché. «Compte tenu du fait que les compagnies pharmaceutiques ont caché des informations sur l’innocuité et l’efficacité de leurs produits par le passé, ce nouveau réseau pourrait bien ne pas être aussi efficace qu’il le devrait si un membre de l’industrie vient influencer certaines de ses priorités», souligne-t-il.

Pour Bill Jeffery, coordonnateur national du Centre pour la science dans l’intérêt public, «nommer le dirigeant d’une compagnie du secteur privé à un comité qui a le mandat d’orienter une recherche qui peut affecter la rentabilité de sa compagnie est clairement un énorme conflit d’intérêts

Bien qu’il s’agit d’une première d’accepter un membre de l’industrie au sein du conseil d’administration des IRSC, le Fonds de recherche en santé du Québec (FRSQ), l’organisme subventionnaire québécois, le faisait déjà depuis un bon moment, fait remarquer le Dr Rémi Quirion, qui a dirigé jusqu’à récemment l’un des 13 instituts des IRSC. Le Dr Lexchin rétorque pour sa part que les grandes revues médicales et les National Institutes of Health (NIH) aux États-Unis ont, quant à eux, fait ces dernières années de gros efforts pour accroître leur indépendance vis-à-vis de l’industrie pharmaceutique, et il se demande pourquoi le Canada prend un virage dans la direction opposée.

Selon le Dr Quirion, le Dr Prigent «n’est pas là avec son chapeau Pfizer, mais avec le chapeau d’une personne qui sait comment on peut traduire des découvertes effectuées en milieu académique en développement de médicaments». «On dit que le Canada est peu performant par rapport aux États-Unis, à l’Allemagne, à l’Angleterre et au Japon quant au nombre de brevets déposés dans les universités et au nombre de brevets qui aboutissent ensuite en produits commerciaux», fait-il remarquer. À son avis, il est préférable d’avoir autour de la table une personne qui connaît bien ce bout de la chaîne et qui fera des recommandations pour améliorer cette mauvaise performance. «Comme tous les autres membres du conseil, le Dr Prigent représente un profil de connaissances parmi d’autres», dit-il.

Lire la suite de l’article sur le site du Devoir:

Le Devoir - Pauline Gravel 19 novembre 2009 - La recherche publique contrôlée par l'industrie?

Références de mon texte:

«Corrompus jusqu’à la moelle» Shiv Chopra
ISBN 978-2-922969-24-5

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(2) page 35
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