Hier, dimanche pluvieux… Direction l’exposition « Si le temps nous était conté… de la création de l’Univers à la conquête de l’espace », qui présente des objets mis en vente aux enchères demain et mercredi par la maison Millon de Cornette de Saint Cyr (voir la présentation sur le site de France-Soir). Je pousse la porte de la salle Drouot-Montaigne, au 15 de l’avenue du même nom, et là, dans une atmosphère très bourgeoise digne des appartements et hôtels hors de prix que je viens de longer, j’aperçois une girafe, des lions et un ours polaire empaillés. Ils voisinent avec un squelette de mammouth et quelques fossiles et pierres précieuses numérotés et sagement rangés dans des vitrines. Et pour ne pas trahir le titre de l’exposition, quelques météorites (dont une de 1,7 tonne retrouvée en Sibérie) et des combinaisons d’astronautes. On se demande bien pourquoi les organisateurs ont souhaité rassembler tous ces objets hétéroclites dans la même exposition… Un vrai cabinet de curiosités du 18ème siècle !
Sur deux étages sont dont accumulées 450 pièces, véritables trésors pour l’amateur de squelettes et autres objets naturalistes : oiseaux, singes, mammifères naturalisés, ammonites, fossiles… Star de l’exposition : un squelette de Spinosaurus de 8 mètres de long et d’environ 100 millions d’années. La gueule ouverte, il semble vouloir vous croquer tout cru et lance des grognements dignes de Jurassic Park (bon, d’accord, ce sont des micros…).
Mais un très bon article du Monde nous indique que ce fossile est un composite sans aucune valeur scientifique. D’après le catalogue de l’exposition, il n’est original qu’à 50 % environ et assemblé « à partir des restes osseux et des fragments [d’individus différents] recueillis sur plusieurs localités de la région de Kem-Kem, au sud du Maroc, sur une période d’environ 25 ans ». Pire, d’après Le Monde, l’aspect du dinosaure aurait été amélioré pour le rendre plus effrayant. Collages, os en plâtre patiné, crête dorsale, pattes, crâne et mâchoires refaits, dents insérées de manière aléatoires… Consternant…
Mais il est vrai que nous ne sommes pas au MNHN. L’absence de panneaux d’explications nous le rappelle constamment. Seuls plusieurs exemplaires du catalogue (20 € tout de même) sont épinglés aux murs et offrent des descriptions succinctes. Par exemple, de nombreuses boîtes d’insectes irisés ou dont les ailes imitent l’aspect des feuilles sont ainsi exposés, mais sans aucune explication (pas même leur nom sur un petit papier), et c’est à chaque fois le même cirque : admirer, puis faire la queue devant les catalogues pour espérer glaner quelques explications. Dans tous les cas, la mise en scène est soignée et fait ressembler les salles à des répliques (bas de gamme) de la grande galerie de l’évolution. Du singe suspendu à hauteur d’homme, jusqu’à l’éclairage par-dessous pour donner un air méchant aux rapaces ; tout semble organisé pour plaire d’avantage aux yeux et aux oreilles qu’au cerveau. Dommage pour tous les visiteurs curieux et les enfants que j’ai côtoyés pendant ma visite…
Une question me taraude, celle du statut de ces objets. Dépouillés de la rigueur scientifique (comme par exemple une datation et une provenance précises, la rigueur de la reconstitution voire un avertissement si l’exemplaire est mis en scène ou « complété »), ce ne sont plus des pièces scientifiques. Mais sont-t-elles pour autant des œuvres d’art ? La question reste en suspend.
Quoi qu’il en soit, demain et mercredi, ils seront éparpillés chez différents amateurs de curiosités. « Il y a en a pour toutes les bourses et pour tous les fantasmes », assure Bertrand Cornette de Saint Cyr, commissaire de la vente, dans un article de l’Express. « On serait vraiment très fiers de vendre le Spinosaurus à une institution. Il y a aussi beaucoup de gens qui s’intéressent à la préhistoire », ajoute-t-il. De 100 000 € (prix de mise en vente) à 400 000 € (prix espéré) le Spinosaurus, ça fait tout de même cher le presse-papier géant…
Les ventes aux enchères d’objets paléontologiques font souvent recette. Le 8 avril dernier, Christie’s en organisait une. Science Actualités a reccueilli les réactions du paléontologue Eric Buffetaut. Voir également un article du site largeur.com qui insiste sur les dérives de ce phénomène.
Photos : Marion Sabourdy