La biennale du livre et du film de voyages, à Marly, avait tout pour faire un triomphe, elle avait même mon Ulysse, et son auteur. L’endroit était agréable, juste un peu moins que je ne le croyais : quand je me suis inscrit, je pensais que c’était à Marly-le-Roi. En fait, c’était à Marly-la-Ville. Et la ville c’est quand même moins bien que le roi. Un peu plus loin, bien plus au nord, et au milieu de nulle part. Cela dit, c’était très bien.
Il ne manquait que des visiteurs.
Alors, nous nous sommes visités entre auteurs, pour nous redonner le moral. J’ai retrouvé des auteurs que j’aime bien, notamment Philippe Frey, le routard du désert. D’autres avec lesquels j’ai été heureux de faire connaissance. J’ai fait la connaissance d’un libraire que je reverrai sûrement l’an prochain, puisqu’il est le libraire du Salon du Polar, à Montigny-les-Cormeilles : dans deux mois, je serai écrivain dans la famille polar, il va falloir que je m’habitue à cette idée. Vous aussi d’ailleurs.
Mais cette année, je suis encore écrivain famille littérature de voyages. J’ai donc voyagé de stand en stand, j’ai exploré des paysages littéraires inconnus. Mais, pour la rencontre la plus forte, il ne m’a pas fallu aller très loin. Mon voisin de stand, Mudeya Kepanga, était un type extraordinaire. Et pour commencer, c’était un chef papou.
Le matin, il faisait encore un peu froid, alors il a gardé ses Converse et sa blouse. Même comme ça, il a eu beaucoup de succès, notamment auprès des enfants. Comme sur la photo. Il ne parlait pas français, les enfants ne parlaient pas pidgin (mais qu'est-ce qu'on leur apprend à l'école ?), ça n'empêchait pas le dialogue d'être fécond. J'étais jaloux.
L’après-midi, quand la température a monté, il s’est mis à l’aise. Donc en tenue de Papou, comme sur l’autre photo. Très coloré, très chic. Surtout le chapeau. Avec son pauvre galurin, Amélie Nothomb peut aller se rhabiller. Mudeya Kapanga attirait à lui tout seul la moitié des visiteurs du salon. J'étais encore plus jaloux.
On s’est partagé l’autre moitié. J’ai signé cinq livres, en un week-end. Dans un bon salon, c’est ce que je signe en une heure. C’est ça aussi, la vie d’auteur.
J’ai participé à un débat sur la littérature de voyages. Nous étions deux auteurs à débattre. Plus exactement à parler. En fait, non. Nous n’étions qu’un. L’autre auteur était un spécialiste du Kafiristan. Oui, le Kafiristan, vous avez bien lu. Ça ne vous dit rien ? Moi ça m’a dit tout de suite : le Kafiristan, c’est le pays où se passe un merveilleux roman de Kipling, « L’Homme qui voulut être roi » (on dit aussi « qui voulait », le plus recommandé, c’est de dire « The Man Who Would Be King » avec un sourire rêveur). Vous imaginez le choc ? J’avais toujours cru que le Kafiristan était un pays inventé par Rudyard Kipling. Et je découvre que c’est une région, très isolée dans les montagnes, au nord du Pakistan. Ce que j’avais à raconter, je le connaissais pas cœur, ça m’intéressait beaucoup moins que le Kafiristan. Le type y avait fait de nombreux voyages, il y avait vécu plusieurs années. Alors je lui ai laissé presque tout mon temps de parole. C’est ça aussi, la vie d’auteur.
Et le reste du temps ? Le reste du temps, j’ai écrit. J’avais apporté mon PC, pour continuer l’écriture de mon nouveau roman, en cas d’heures creuses. Des heures creuses, il n’y en eu qu’une, qui commença le samedi à 10 heures, pour s’achever le dimanche à 17 heures. J’ai donc eu le temps d’écrire, malgré la musique, malgré la voix stridente de l’animatrice de l’atelier de contes pour enfant qui beuglait en s’accompagnant du tam-tam. Mudeya Kepanga n’était pas gêné, il ne comprenait que le pidgin. Moi, je m’y suis fait au bout de trois ou quatre heures. J’ai réussi à écrire. J’ai même réussi à écrire un chapitre entier, sur lequel je coinçais depuis un mois. Il y a comme ça des miracles, des lieux propices. C’est ça aussi, la vie d’auteur.
Le soir, à l’hôtel, pas moyen de dormir, tant la tempête soufflait en faisant chouiner la persienne en plastique. J’ai lu un livre que j’avais dans mes bagages, il y a toujours un livre dans mon sac de voyages. C’était L’élégance du hérisson. Et malgré ça, je ne me suis pas endormi. C’est dire si la tempête soufflait fort.
Dans un prochain billet, je parlerai de « L’élégance du hérisson » si je m’endors pas en l’écrivant. Mon conseil, c’est de plutôt lire « Le long, long voyage », de Marc Dozier. Il raconte la découverte de la France par Mudeya Kepanga. Vous ne pouvez imaginer à quel point nous sommes exotiques.