“L’homme de Londres”, un film de Béla Tarr (2008)
J’ai une copine qui a travaillé avec Béla Tarr et qui m’a dit qu’il était complètement taré. Elle le hait, lui et toute son équipe aussi. Et je ne dirais pas qui est mon amie – de toute façon, qui connaît vraiment Béla Tarr?
J’ai une autre copine qui a bossé avec lui, une technicienne du cinéma, et qui, quand on évoque le tournage de L’homme de Londres, devient très sombre et explique gentiment que parfois, on préfèrerait presque faire de la télé.
De toute façon, un réalisateur hongrois qui pond des œuvres de plus de sept heures sans entracte en noir et blanc (Satantango, 1994), ne peut pas être tout à fait normal. L’homme de Londres, une adaptation du l’enquête policière de Georges Simenon, ne dure “que” 132 minutes, et c’est le règne de la lenteur et du plan séquence. Les plans filmiques maniaques de Béla Tarr sont inhumains. Au bout d’une heure dix de film, nous en sommes à onze plans en tout et pour tout (j’ai compté, je m’emmerdais). Pire encore, nous n’en sommes presque qu’à l’exposition des lieux et des personnages.
La première moitié de L’homme de Londres m’a parue être un véritable supplice, sorte de caricature du film dit “de l’Est”, en noir et blanc, lent à périr, joué de façon expressionniste, avec d’interminables mouvements de caméra sur des actions insignifiantes (une fille qui mange sa soupe). De quoi faire passer toute la Hongrie pour le pays de la dépression nerveuse. Béla Tarr semble alors mépriser le genre humain au point de lui préférer les longs travellings sur des paysages mornes et de filmer son héros presque tout le temps… de dos!
Pourtant, à la deuxième heure, et particulièrement à la fin, le film bascule, le pouls s’accélère, retrouvant la piste du film noir, en mettant cependant l’accent sur l’absurdité des entreprises humaines. C’est là que prennent tout leur sens les plans séquences infinis et les dialogues étrangement artificiels, dans cette tragédie grecque version 2009 qui se mérite un peu, qui ne s’offre pas comme ça à la première minute. La force du film s’apprécie lentement et finit, saisissante, sur un ultime plan séquence du visage d’une femme qui a tout perdu – honneur, justice et amour.