par Virginie Michelet
J’avais, bien sûr, regardé les photos sur le site. Je m’étais dit que j’avais une chance extraordinaire de séjourner en ce lieu mythique. Que ça ne pouvait pas mieux tomber pour quelqu’un qui cherche à comprendre la Chine, et en particulier, son histoire. Que le budget n’entrait pas en ligne de compte car ce n’est pas moi, je le jure, qui ai décidé de m’inviter là. C’est le destin, sous la forme d’une mission commandée depuis la vieille Europe. Je n’en dirai pas plus.
La question, cependant, se posait : cet endroit est certes magique vu de loin, mais de près, dans la mesure où Aman Resorts est une chaîne connue et répertoriée depuis vingt ans (1988), qu’allais-je vraiment vivre ?
Mon obsession du luxe, un mélange de confort extrême, d’attention aux petits détails et de douce personnalisation allait-elle y trouver son compte ? Après tout, combien de fois un endroit paradisiaque de prime abord est-il devenu pour moi un secret enfer en vertu d’un mauvais management ou d’une pingrerie bien évidente ? Je suis difficile ? Certes et je le revendique !
Le Palais d’Été est plus qu’un lieu en Chine, c’est un mythe, voire un symbole de nationalisme. Situé au Nord Ouest de Beijing, il abritait les demeures et les temples des empereurs Qing, qui venaient là se reposer des chaleurs insupportables de l’été pékinois. Nous avons tous en mémoire le sac du Palais d’été de 1860 et celui de 1900, pillages perpétrés par les occidentaux réunis sous la bannière de l’impérialisme le plus sauvage (voir l’extraordinaire lettre de Victor Hugo), puis les années passées à reconstruire le Palais par l’Impératrice douairière Cixi (Tseu Hi) qui y a englouti des sommes si folles qu’elles ont participé à la chute de l’Empire en 1911.
Il se trouve qu’à l’est du Palais, on parquait dans de somptueux bâtiments les visiteurs de marque en attente de l’entrevue avec la souveraine. Ils attendaient parfois des mois. C’est là que la chaîne Aman, avec l’aide du gouvernement chinois me suis-je laissé dire, a rénové en architecture traditionnelle un ensemble de bâtiments qui n’ont rien à envier au Palais d’Été qui jouxte le Resort.
C’est d’ailleurs un grand plaisir que d’atteindre la petite porte le long du mur, se faire remettre un sac à dos dûment garni de Kleenex, d’eau, d’un plan du Palais et d’un téléphone portable afin d’appeler quelqu’un qui viendra aussitôt vous ouvrir quand vous rentrerez. Pourtant, on n’a rien demandé, quand, il y a une demi-heure, on a simplement souhaité se rendre au Palais.
Le plaisir est tout aussi aigu de rencontrer, le matin devant un petit-déjeuner traditionnel chinois, le directeur de l’hôtel, Mark Swinton (Canadien de la côte ouest, vêtu ce jour-là à la chinoise), venant aux nouvelles pour savoir si l’on a bien dormi, et si la chambre n’est pas trop fraîche en ces premières neiges. Ou bien se faire accompagner le soir par un jeune homme muni de sa jolie lampe traditionnelle, nous priant instamment de faire attention où l’on met les pieds (les bâtiments sont séparés par des chemins, des couloirs en plein air, presque des ruelles).
Ou encore entrer dans sa magnifique chambre dans le plus pur style du XIXème siècle (voir les écrits de Paul Claudel consul en Chine), trouver sur mon lit savamment défait pour la nuit une carte racontant un peu d’Histoire, illustrée de dessins, manger deux gâteaux faits maison, posés sur une petite assiette de bambou, écrire une improbable calligraphie à l’aide des pinceaux et de l’encre qui se trouvent à disposition sur le bureau, écouter la musique traditionnelle qu’on a branché avant mon arrivée, prendre un bain avec une infusion d’herbes reposantes et une bougie dans une salle de bain aux claustras de bois…
Ou, pour finir, m’initier gracieusement à la calligraphie avec un maître, nager dans une piscine souterraine de vingt-cinq mètres de long pour moi toute seule ou presque, prendre un hammam, me baigner dans un jacuzzi de pierres brutes, et savourer un des meilleurs canards laqués de la capitale (dont c’est la spécialité).Et, tout le temps, en tous lieux, cette sensation d’espace, de bien-être, d’Histoire et de gentillesse, de vraie prévenance. Dans quel hall d’hôtel (si toutefois celui-ci en est un) peut-on s’asseoir et aussitôt voir arriver quelqu’un qui vous demande si vous voulez boire quelque chose comme si vous étiez chez des amis et sans intention de vente puisqu’il s’agit d’un verre gracieusement offert ?
Je fais partie de ces personnes pour qui l’idéal d’un musée, c’est la Frick Collection à New York ou le Musée Jaquemart André à Paris : des lieux qui ont été habités pour une famille ou un couple profondément amoureux des arts qui nous ont transmis leur passion à travers le temps. Je fais partie de ces gens qui n’aiment pas jouer aux touristes, mais adorent rencontrer de vraies expériences. Or, on a rarement l’impression d’avoir de telles possibilités dans le petit monde doré des palaces internationaux, à cause de la globalisation du luxe de masse (je sais, c’est un oxymoron, et pourtant…). Le groupe Aman Resorts semble non seulement nous offrir autre chose, mais en plus préfigurer de ce que sera – obligatoirement – le luxe individualisé de demain. Est-ce un hasard si cette chaîne se développe surtout en Asie?
D’après le « Andrew Harper's Hideaway Report », qui lui a décerné la note jamais atteinte de 99 sur 100, il s’agit d’une “serenely romantic vision of a bygone China"....
© Virginie Michelet