Tout au fond de ton esprit, au théâtre
Sur la scène, un salon décoré années 70 avec un grand frigidaire blanc qui s’allume (mais comme il est de profil, on dirait quand on l’ouvre qu’il contient un projecteur jetant une lumière télévisuelle sur qui y cherche à manger). Un garçon au corps mince et souple y déplore la mère de sa mère. Il court, tombe et fait entrer des figures féminines inquiétantes, deux Parques amoureuses qui lui chantent des lieder, une jeune fille blanche au corps de poupée gonflable, un chien affamé à la voix très sensuelle. Des fantasmes qui interprètent des numéros musicaux. C’était Sextett (et la première fois que je vais au théâtre du Rond-Point, avec sa librairie ouverte toute la soirée).
Sur la scène, trois Alices improbables (surtout la masculine) se retrouvent prisonnières des lettres géantes disposées sur le plateau et des raisonnements loufoques des personnages du pays des Merveilles. La langue devient folle, les comptines prennent corps, les mots se rembobinent, les courses sur l’échiquier sont immobiles. *Tartine de beurre *, c’était bien, et l’expérience s’appelait « Drink me dream me ».
Une chance qu’au théâtre on m’ouvre la porte des rêves, parce que depuis quelque temps au réveil les miens sont enfuis, plus moyen de me repasser avec amusement ou effroi les péripéties de la nuit.
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Entre les livres
J’ai lu le deuxième volume des gouttes de Dieu (oeno-manga), un peu mélodramatique au début (une histoire d’amour pleine de nostalgie, ramollissant les cœurs des investisseurs les plus bornés), puis franchement comique (avec l’apparition d’un fana de vins italiens, qui provoque un certain brouillage des nationalités : il a les traits plus nettement asiatiques que les héros mais parsème son discours de phrases italiennes et met les personnages au comble de la gêne en adoptant un comportement méditerranéen, embrassade et empoignades comprises. C’est curieux cette occidentalisation des visages des héros incarnant pourtant les Japonais moyens).
A la place d’un magazine de mode, j’ai lu pendant le petit déjeuner du week-end un petit livre sur la sociologie des tendances, dont je n’ai retenu que des bribes, comme la rivalité mimétique qui veut que je veuille ce que possède mon frère ennemi, ou la consommation ostentatoire, le paradoxe de la fashion victim, et le lien entre tendance et démocratie.
Je me suis plongée dans le 3e roman d’Ishiguro, considérant que cela faisait trop longtemps que je gardais les trois romans encore non lus d’Ishiguro pour « plus tard ». The remains of the day à peine commencé, je me suis trouvée saisie d’une sorte de frénésie linguistique qui m’a fait ouvrir un roman grec (dans une édition bilingue grec-italien).
Bref, je me disperse.