Pourquois

Par Diekatze

Pourquoi, alors que nous connaissons les réponses à la plupart de nos questions continuons-nous à nous poser ces questions ? Pourquoi, alors que nous connaissons l’origine de certains de nos problèmes, continuons-nous à avoir ces mêmes problèmes ?

Je m’explique. Il y a quelques jours, je lisais un article dans la version britannique du magazine français « Psychologies ». Une jeune femme bénéficiait d’une séance expresse et gratuite avec un psy probablement à la mode à Londres, et elle lui expliquait qu’elle souffrait d’accès de colère incontrôlables, violents, irrépressibles, qui l’amenaient à hurler sur son fils de 3 ans à la moindre contrariété, et parfois à le frapper. Le psy la questionne et ils comprennent ensemble que ce sont les frustrations qui la font sortir de ses gonds, et ensemble toujours, ils cheminent tranquillement vers le père de notre colérique, qui hurlait lui aussi pour un oui ou pour un non, muselant ainsi ses enfants qui n’avaient donc pas le loisir d’exprimer quoi que ce soit. Et le psy d’expliquer à sa patiente qu’ici se situe l’origine de la frustration qui lui fait claquer les portes aujourd’hui. Et là, la jeune femme répond quelque chose qui m’a collée à mon siège, tant elle a réussi à exprimer en une phrase tout le paradoxe et l’incohérence de notre condition humaine. Elle dit : « Oui, je sais que le problème vient de là, j’ai déjà compris ça, mais je n’arrive pas à le dépasser. » Pourquoi, écrivais-je au début de cet article, continuons-nous à buter sur une difficulté alors que nous en connaissons l’origine ?


La nuit sur Terre en 1970


Autre exemple : moi ! (Ben quand même ! Mais je suis sûre que quelques-zuns et zunes s’y retrouveront). Ceux et celles qui n’ont loupé aucun épisode de mes palpitantes aventures savent déjà que j’ai eu une véritable révélation en posant le pied à Wellington sur mon désir de vivre à la campagne. J’ai donc depuis décidé de m’installer dans l’Ile du Sud, tellement plus rurale, tellement moins peuplée. Mais l’ile du Sud étant bien vaste, il fallait rétrécir encore le choix, et me voilà partie à Nelson, parce que le soleil, parce que le vin, parce qu’au centre du pays.

Mais…

Nelson est une ville, non ?

Question : pourquoi alors que j’ai la réponse à ma question « ville ou campagne » continué-je à m’obstiner à aller vers les villes ?

Depuis que je suis montée dans l’avion mercredi après-midi, j’ai dû avoir en tout et pour tout 14 secondes de vrai silence. Je suis fatiguée, je dors peu et mal, le bruit est incessant : l’auberge où je suis est vraiment bien, mais pas insonorisée et située au bord d’une route sur laquelle la circulation est permanente ; de plus, ma chambre est à côté d’une salle de bain (d’où des bruits de douche très tôt et très tard), dans laquelle il y a une machine à laver et un sèche-linge. Damned ! Aujourd’hui, je suis allée marcher, loin, loin, et j’ai fini par trouver un endroit normalement sans bruit de moteur ou presque : la plage. Sauf que cette plage se trouve près de l’aéroport, il faut donc profiter du calme entre deux avions…

On est bien loin de ce que je suis venue chercher dans ce pays.

Revenons au point de départ. J’ai effectué un bond dans l’espace de 20 000 kms pour, entre autres, être au cœur d’une nature préservée, pure de toute pollution (chimique, sonore, lumineuse, etc…), jouir de lieux sans bruits de machines, m’extasier de l’odeur des prés après la pluie, admirer religieusement le ciel étoilé pendant des heures, maudire et aimer le chant des oiseaux à l’aube, prendre le temps, pouvoir sortir pour une marche en pleine nature sans avoir à utiliser la voiture pour s’y rendre, prendre le temps, profiter du silence pour entendre mieux ce qui s’agite en moi, prendre le temps.

À aucun moment dans mon projet n’apparaissent les villes. Ni leurs habitants. En bonne sauvage que je suis, à mi-chemin entre la vieille acariâtre et l’ermite, je rêve d’un lieu discret, reculé, protégé. Je n’ai pas à m’inquiéter de trouver un travail, puisque d’une part j’ai un peu d’argent d’avance, d’autre part je n’ai pas le droit de travailler ici (question de visa). Je n’ai à m’inquiéter de rien.
La nuit sur Terre en 2000


Et pourtant… Je suis en ville, à la recherche d’un meublé en ville ! Et lorsqu’une annonce me fait de l’œil pour un meublé à deux heures d’ici en plein milieu de nulle part, je tergiverse, j’hésite, je renonce, j’y reviens, je me tâte, je trouve des excuses ridicules. Pourquoi ? Pourquoipourquoipourquoi ? Voici la litanie stupide qui harcèle mon esprit déboussolé : en ville, il y a des activités, des gens, un cinéma, des magasins de vêtements, des librairies, une bibliothèque, des bars, des restaurants, des musées, des salons de coiffure, des opportunités (de quoi, mystère), etc... toutes choses que j’avais à ma disposition en France. Pourquoi donc être partie ?

On fait ça tout le temps non ? Vous aussi, non ? J’ai en stock tout un tas de visages qui montent dans des bulles et éclatent à ma conscience, tant de personnes croisées qui ont déjà toutes les réponses à leurs questions mais continuent à se les poser, qui connaissent l’origine et le pourquoi de leurs problèmes, mais continuent à patauger dedans.

Pourquoi ?